BOKAR RIMPOTCHE LA MEDITATION, conseils aux débutants
Bokar Rimpotché
Bokar Rimpotché naquit au Tibet l'an du dragon-fer,
c'est-à-dire en 1940. Né dans une
famille d'éleveurs nomades, il avait quatre ans lorsque les indications
données par Sa Sainteté Karmapa XVI le firent reconnaître
comme tulkou, réincarnation du précédent Bokar Rimpotché.
Élevé d'abord au monastère fondé par sa précédente
incarnation, il poursuivit son éducation à Tsourpou, siège
des Karmapas. Il assuma très jeune la charge de la communauté de
Boker, située dans le Tibet Supérieur, autrement dit occidental,
non loin du Mont Kailas.
L'invasion chinoise lui fit choisir l'exil, comme beaucoup d'autres, alors qu'il
avait une vingtaine d'années. En Inde, il rencontra Kalou Rimpotché
(1), dont il devint le principal disciple, appelé à lui succéder
à la tête de la lignée Changpa-Kagyu, l'une des huit grandes
lignées originelles par lesquelles le bouddhisme passa d'Inde au Tibet.
Bokar Rimpotché accomplit
deux fois la traditionnelle retraite de trois ans et trois mois à Sonada,
le monastère indien de Kalou Rimpotché, non loin de Darjeeling,
célèbre pour ses collines à thé.
Ses qualités remarquables
lui valurent ensuite d'être choisi par Kalou Rimpotché pour
diriger les centres de retraite
de Sonada, et par Sa Sainteté Karmapa XVI pour diriger celui de
Rumtèk, nouveau siège
des Karmapas au Sikkim, excroissance indienne entre le Népal et le
Bhoutan. Il a, par ailleurs,
lui-même fondé récemment à Mirik, dans la même
région, un
centre de retraite plus spécialement
destiné à la pratique de Kalachakra (2). Ces charges font
de lui, à l'heure actuelle,
le principal maître de méditation de l'école Kagyupa.
Le texte présenté
ici transcrit une série d'enseignements donnés par Bokar Rimpotché
en septembre 1985, en Provence,
lors de son second voyage en Europe :
� Le chapitre Introduction générale à la Méditation
est un enseignement donné au Centre Tibétain de Marseille (347,
rue Paradis).
� La section Nuances
complémentaires reprend des éléments d'un enseignement
sur le
même sujet donné
à Aix-en-Provence.
� Enfin, les instructions
sur Chiné et Lhaktong furent exposées en deux soirées à
Aix-
en-Provence. Nous avons gardé
la forme directe sous laquelle elles furent prononcées,
indiquant les moments de méditation
en commun.
Il existe, en tibétain,
de nombreux manuels de méditation, dont un, le Mahamoudra qui
dissipe les ténèbres
de l'ignorance, du IXème Karmapa, a été traduit et publié
en français. Le
présent opuscule n'enseigne
fondamentalement rien d'autre que ce qu'ont exposé en détail ces
manuels. Il offre cependant
l'avantage d'une présentation quasi dénuée de technicité
et rendue
très accessible par
nombre d'exemples pris dans notre vie quotidienne:
Le lecteur ne doit néanmoins
pas s'y tromper : sous cette apparence simple, ce sont des
instructions très profondes
qui sont données ici. Il est probable qu'une lecture rapide et
superficielle ne laissera
aucune trace dans l'esprit. Pour qu’un certain bénéfice
puisse en être
tiré, il faut s'imprégner
du sens et mettre en pratique les exercices sous la direction
indispensable d'un instructeur,
comme le souligne lui-même Bokar Rimpotché.
Cette publication a été
encouragée par Bokar Rimpotché et la traduction a été
entièrement
vérifiée sur
le tibétain enregistré lors des enseignements publics précités.
Tcheuky Sèngué
(1) La vie de Kalou Rimpotché
a été publiée en deux fascicules, texte et album, aux Editions
Prajna, Saint-Hugon 73110
Arvillard.
(2) Kalachakra est considéré
comme le système le plus complet de méditation tantrique, fondé
sur les correspondances reliant
l'univers, le corps humain et l'esprit. L'initiation à ce système
est sans doute la plus complexe
de tous les tantras. Elle fut donnée en publie ces dernières
années à plusieurs
reprises par Sa Sainteté le Dalai Lama et par Kalou Rimpotché,
en Inde, en
Europe (France, Suisse, Suède,
Allemagne) et aux Etats-Unis.
INTRODUCTION GENERALE A LA MEDITATION
POURQUOI MEDITER ?
Les hommes sont affligés
de souffrances, d'angoisses et de peurs nombreuses qu'ils
sont dans l'incapacité
d'éviter. La méditation a pour fonction d'éliminer ces
souffrances et ces
angoisses.
Nous pensons généralement
que bonheurs et souffrances viennent de circonstances extérieures. Continuellement
affairés, d'une manière ou d'une autre, à réorganiser
le monde,nous tentons d'écarter un peu de souffrance par ci, de rajouter
un peu de bonheur par là, sans jamais atteindre le résultat souhaité.
Le point de vue bouddhiste, qui est aussi le point de vuede la méditation,
considère au contraire que bonheurs et souffrances ne dépendent
pas fondamentalement des circonstances extérieures mais de l'esprit lui-même.
Une attituded'esprit positive engendre le bonheur, une attitude négative
produit la souffrance.
Comment comprendre cette méprise
qui nous fait chercher au dehors ce que nous ne
pouvons trouver qu'au dedans
? Une personne au visage propre et net se regardant dans un
miroir voit un visage propre
et net. Celui dont le visage est sale et maculé de boue voit dans le
miroir un visage sale et maculé.
Le reflet n'a pas, en vérité, d'existence ; seul le visage existe.
Oubliant le visage, nous prenons
son reflet pour réel. La nature positive ou négative de notre
esprit se reflète dans
les apparences extérieures qui nous renvoient notre propre image. La
manifestation extérieure
est une réponse à la qualité de notre monde intérieur.
Le bonheur que nous désirons
ne viendra pas de la restructuration du monde qui nous
entoure, mais de la réforme
de notre monde intérieur. L'indésirable souffrance ne fuira que
dans la mesure où nous
ne ternirons pas notre esprit de toutes sortes de négativités.
Tant que
nous ne reconnaissons pas
que bonheurs et souffrances ont leur source en notre esprit lui-
même, tant que nous
ne savons pas distinguer ce qui, pour notre esprit, est profitable ou
nuisible, et que nous le laissons
à son insalubrité ordinaire, nous demeurons impuissants à
établir un état
de bonheur authentique, impuissants à éviter les continuelles
résurgences de la
souffrance. Quel que soit
notre espoir, il est toujours déçu.
Si, découvrant dans
le miroir la saleté de notre visage nous entreprenons de laver le
miroir, quand bien même
nous frotterions pendant des années avec force savon et abondance
d'eau, rien n'y ferait, pas
la moindre saleté ni la moindre tache ne disparaîtrait du reflet.
Faute
d'orienter nos efforts vers
l'objet juste, ils restent parfaitement vains. C'est pourquoi le
bouddhisme et la méditation
tiennent pour primordial de comprendre que bonheurs et
souffrances ne dépendent
pas foncièrement du monde extérieur mais de notre propre esprit.
En l'absence de cette compréhension,
nous ne nous tournerions jamais vers l'intérieur et
continuerions à investir
notre énergie et nos espoirs dans une vaine poursuite extérieure.
Une
fois cette compréhension
acquise, nous pouvons laver notre visage : le reflet lui-même
apparaîtra propre dans
le miroir.
LES CONDITIONS AUXILIAIRES
La méditation concerne
l'esprit. Pour méditer, il faut toutefois réunir un certain nombre
de conditions auxiliaires
sans lesquelles notre entreprise ne saurait être fructueuse.
En premier lieu, après
avoir compris que bonheurs et souffrances dépendent
essentiellement de notre esprit,
il faut être pénétré d'une vive aspiration à
méditer en même
temps qu'éprouver de
la joie à cette perspective.
En second lieu, il est indispensable
d'être guidé par un instructeur qui nous enseigne
comment méditer. Si
nous nous proposons de nous rendre dans un certain endroit d'un pays
pour nous inconnu sans l'aide
de quelqu'un familier des lieux, il nous sera impossible
d'atteindre notre destination.
Laissés à l'aventure, nous ne pourrions guère que nous
égarer ou
nous perdre dans de très
longs détours. Sans maître pour guider notre méditation,
nous ne
pouvons, de même, que
nous égarer dans des voies de traverse.
En troisième lieu,
l'endroit où nous méditons revêt une certaine importance,
en
particulier pour les débutants.
Les circonstances dans lesquelles nous vivons exercent
actuellement sur nous une
influence très contraignante et entraînent un abondant flux de
pensées qui paralyse
nos tentatives de méditation. Il est donc nécessaire de se retirer
dans un
lieu au moins relativement
à l'écart des activités mondaines. Un animal sauvage vivant
dans
les forêts de haute
montagne ne supporte aucunement l'agitation de la ville. Notre esprit de
méditation ne peut
non plus se développer dans des conditions où règnent en
maîtres les
distractions et les sollicitations
extérieures permanentes.
COMMENT MEDITER
Etabli dans un lieu isolé,
il nous faut dégager notre corps de toute activité, dégager
notre esprit des pensées
concernant le passé et l'avenir, dégager notre parole de toute
conversation profane. Notre
corps, notre parole et notre esprit sont laissés au repos dans l'aise
naturelle.
La posture corporelle est
importante. Notre corps est parcouru par un réseau de canaux
subtils (nadis) dans lesquels
circulent les souffles subtils (prâna). La production des pensées
est liée à la
circulation de ces souffles. L'agitation du corps engendre l'agitation des canaux
et
des souffles, qui, à
son tour, favorise les turbulences mentales.
L'activité orale, la
formation des sons, dépend aussi de l'activité des souffles. Trop
parler les perturbe tout en
accroissant la production de pensées. Garder le silence favorise la
méditation.
Préserver le calme
de la parole et du corps prédispose donc au calme intérieur en
évitant la création
d'un flux de pensées trop abondant. Tout comme un cavalier tenant bien
sa
monture est assis à
l'aise, lorsque le corps et la parole sont contrôlés, l'esprit
est prédisposé au
repos.
Des idées fausses sont
parfois entretenues sur ce qu'est la méditation. Pour certains,
méditer c'est passer
en revue et analyser les événements de leur vie quotidienne survenus
dans
les jours, les mois et les
années passés. Pour d'autres, méditer c'est envisager l'avenir,
réfléchir
sur la conduite à tenir,
former des projets à plus ou moins long terme. Ces deux approches
sont bien évidemment
erronées. La production de pensées concernant le passé
ou l'avenir est
par soi-même en contradiction
avec l'établissement de l'esprit dans le calme, quand bien
même le corps et la
parole resteraient inactifs. Dans la mesure où l'exercice ne conduit
pas à la
paix intérieure, ce
n'est pas la méditation.
D'autres encore, pensant méditer,
ne vont à la quête ni du passé ni de l'avenir, mais
s'installent dans un état
vague et flou, voisin de la sorte d'hébétude qu'engendre une grande
fatigue. L'esprit demeure
dans une indétermination obscure, état qui peut paraître
positif dans
la mesure où il procure
tout d'abord une impression de repos bienheureux ; mais il manque
totalement de lucidité
et ne tarde pas à glisser dans le sommeil, à moins qu'il ne débouche
sur
un flot de pensées
incontrôlées.
La vraie méditation
évite ces écueils : l'esprit non préoccupé du passé,
n'envisageant
pas l'avenir, établi
dans un présent lucide, clair et calme. La nuit ne permet qu'une perception
très obscure de la
mer, alors que le jour laisse voir précisément tous les détails
: les couleurs,
les vagues, l'écume,
les roches, le fond sous-marin. Notre esprit est semblable à la mer.
Le
méditant doit être
pleinement conscient de la situation intérieure, perçue aussi
clairement que
la mer en plein jour. Il laisse
alors son esprit détendu et les vagues s'apaisent naturellement.
C'est le calme intérieur,
techniquement nommé la pacification mentale (en tibétain chiné).
De très nombreuses
méthodes sont utilisées pour développer chiné. Un
débutant peut,
par exemple, visualiser une
petite sphère de lumière blanche au niveau du front et s'y
concentrer au mieux de ses
capacités. On peut aussi se concentrer sur le va-et-vient de la
respiration, ou bien encore,
sans prendre d'objet de concentration particulier, laisser l'esprit
sans distraction. On peut
utiliser ces trois méthodes et, par là, apprendre progressivement
à
méditer.
Il est par ailleurs important
d'aborder une session de méditation l'esprit très spacieux,
très ouvert, sans être
fixé sur l'espoir qu'elle soit bonne ni la crainte qu'elle ne le soit
pas.
L'esprit doit être détendu,
disponible et vaste. Espérer une bonne méditation ou en craindre
une mauvaise sont en soi-même
des entraves dont il faut être dégagé.
La méditation nous
donne parfois des expériences de félicité et de paix. Satisfaits
de
nous-mêmes nous nous
réjouissons d'avoir fait une bonne méditation. Parfois, au contraire,
notre esprit reste très
perturbé, tout au long de la session, par de nombreuses pensées
et,
tristement, nous nous jugeons
très mauvais méditants. Se réjouir d'une bonne méditation
et
s'attacher à des expériences
agréables, tout autant que s'attrister d'une mauvaise méditation
sont deux attitudes fausses.
Méditation bonne ou mauvaise, l'important est simplement de
méditer.
Certaines personnes, lors
de leurs débuts, obtiennent rapidement de bonnes
expériences ; elles
s'y attachent, attendent leur répétition constante et, lorsque
ce n'est pas le
cas, déçues,
abandonnent la méditation. Au cours d'un long voyage, nous parcourons
tantôt de
bons chemins, tantôt
de mauvais. Si les charmes d'une portion agréable nous incitaient à
nous
arrêter pour en jouir
continuellement, ou bien si les difficultés du mauvais chemin nous
faisaient renoncer à
aller de l'avant, jamais nous n'atteindrions notre but. Route bonne ou
mauvaise, il faut avancer.
De même sur le chemin de la méditation il faut persévérer
sans se
soucier des difficultés
ni s'attacher aux moments heureux.
Il est préférable,
pour les débutants, de se limiter à de courtes sessions de dix
ou
quinze minutes. Même
si la méditation est bonne, on arrête. Puis, si l'on dispose du
temps
nécessaire, on fait
une seconde courte session après une pause. Mieux vaut procéder
par une
succession de courtes sessions
plutôt que de s'engager dans une longue session qui, même
bonne au début, risque
de glisser dans la difficulté et de lasser le méditant.
LES FRUITS DE LA MEDITATION
Dans un premier temps, notre
esprit ne pourra guère rester stable et au repos bien
longtemps. La persévérance
et la régularité conduisent cependant à développer
progressivement le calme et
la stabilité. Nous nous sentons aussi plus à l'aise physiquement
et
intérieurement. D'autre
part, l'emprise des circonstances extérieures, heureuses ou difficiles,
actuellement très forte
sur nous, vient à diminuer et nous leur sommes moins asservis.
L'approfondissement de notre
expérience de la vraie nature de l'esprit a pour effet que le
monde extérieur perd
de son influence sur nous et devient inapte à nous nuire.
Le fruit ultime de la méditation
est l'obtention du Parfait Eveil, l'Etat de Bouddha. On
est alors totalement libéré
du cycle des existences conditionnées ainsi que des souffrances qui
en forment le tissu, en même
temps que l'on possède le pouvoir d'aider effectivement autrui.
Le chemin de la méditation
comporte deux phases : la première dite chiné (la pacification
mentale), apaisant graduellement notre agitation intérieure ; la seconde
dite
lhaktong (la vision supérieure),
conduisant à déraciner la saisie égocentrique, fondement
du
cycle des existences. La voie
intérieure, et elle seule, mène à l'Eveil ; aucune substance
ni
aucune invention extérieure
n'en a le pouvoir.
CONCLUSION
S'engager sur la voie de la
méditation implique que l'on en connaisse la finalité, les
moyens utilisés, et
les résultats obtenus :
�Reconnaître
que la source de toute souffrance et de tout bonheur est l'esprit lui-même
et que, par conséquent, seul un travail sur l'esprit permet d'éliminer
la première et d'établir le second de manière authentique
et définitive.
�Connaître les
conditions auxiliaires nécessaires : le désir de méditer,
un instructeur qualifié, un lieu retiré.
�Savoir poser son esprit
en méditation : sans suivre les pensées du passé ou de
l'avenir, établir dans le présent son esprit, ouvert, détendu,
lucide, et le fixer sur l'objet de concentration choisi.
�Savoir quels sont
les fruits temporaires et ultimes de la méditation : la sérénité,
la liberté face aux circonstances, et, enfin, l'Etat de Bouddha.
QUESTIONS REPONSES
Question : Peut-on méditer
en travaillant ?
Réponse : Si nous travaillons
sans distraction, appliqués à ce que nous faisons, c'est
aussi de la méditation.
Question : Quelle durée
et quelle fréquence adopter au début ?
Peut-on méditer les
yeux fermés ?
Réponse : Si l'on ne
dispose pas de beaucoup de temps, méditer ne serait-ce qu'un
quart d'heure par jour régulièrement
est déjà bénéfique. Si l'on dispose de plus de temps,
faire
deux sessions de quinze minutes
est encore mieux. Quant à garder les yeux ouverts ou fermés,
cela dépend de l'aide
qu'on y trouve. Lorsque l'esprit est agité par de très nombreuses
pensées,
fermer les yeux pourra être
bénéfique. Sinon on peut garder les yeux ouverts. En dehors de
ce
rapport avec nos pensées,
c'est sans grande importance.
Question : La méditation
présente-t-elle des risques ?
Réponse : Si l'on s'en
remet à un instructeur qualifié, aucun. Si par contre on médite
sans cette direction, notre
méditation peut être simplement stérile ou bien, effectivement,
comporter des risques.
Question : Dans certaines
méditations, on utilise des symboles des cinqéléments comportant
certaines couleurs. Sont-elles simplement conventionnelles ou bien ont-elles
une profonde raison d'être ?
Réponse : La nature
ultime des cinq éléments est comprise dans le mode d'être
de l'esprit. Réalisée, cette nature essentielle des cinq éléments
est reconnue comme étant les cinq Bouddhas féminins. Sans cette
réalisation apparaissent les cinq éléments ordinaires.
Les couleurs attribuées aux cinq éléments sont celles de
leur nature primordiale ce ne sont donc pas de simples conventions.
Question : Une fois les pensées
apaisées, comment éviter de rester dans une quiétude vague
?
Réponse : Pour éviter
le manque de clarté et la somnolence, il faut renforcer la vigilance.
Toutefois, la vigilance doit être réglée judicieusement
: trop tendue elle engendre des pensées supplémentaires, trop
relâchée elle conduit à la somnolence ou à l'hébétude.
Il faut trouver le juste équilibre.
Question : A un moment donné,
j'ai retenu « ni joies ni peines », ce qui impliquerait l'état
de neutralité émotionnelle. Dans ces conditions, que signifie
la redistribution de soi pour le bien des
autres ?
Réponse : Il est vrai
que la méditation rend libre de l'influence des joies et des
souffrances extérieures.
Néanmoins, lorsque maintenant nous méditons, nous développons
la pensée d'obtenir l'Eveil pour le bien de tous les êtres. Le
résultat de cette orientation donnée à notre esprit, sera
que, une fois l'Eveil atteint, nous accomplirons spontanément le bien
universel sans que cela implique effort ou intention partiale. Le soleil dispense
ses rayons bienfaisants à tous les êtres et à toute la manifestation,
sans avoir à penser « il faut que je réchauffe untel, que
je fasse mûrir tels fruits, etc. ». De même, le rayonnement
bienfaisant d'un Bouddha s'exerce spontanément à l'égard
de tous les êtres. Ce n'est cependant pas un rayonnement inconscient.
Un Bouddha est pleinement conscient de la situation des êtres et de son
action. Il connaît la détresse de ceux qu'il secourt, mais son
action est sans effort. Elle s'exerce, dans le domaine de la manifestation,
de diverses manières : par le Corps de Gloire, guidant des êtres
déjà purs, par le Corps d'Emanation (1), qui s'adresse aux êtres
ordinaires que nous sommes, ainsi que par le biais de supports sacrés
: statues, peintures, mantras, etc.
Question : Les écrits
peuvent-ils suffire à la Réalisation ?
Réponse : Sans maître,
les écrits sont insuffisants. Ce que nous lisons dans les livres ne laisse
pas dans notre esprit une empreinte assez profonde, alors que ce que nous recevons
de la bouche d'un maître laisse cette empreinte et engendre une grande
confiance.
Question : Ce qui me gêne
dans la méditation, c'est le mot méthode. Une méthode,
c'est quelque chose qui organise, quelque chose qui conditionne l'esprit, qui
l'oriente. Je me demande comment on peut aboutir, avec ces méthodes,
à quelque chose d'inconditionnel, de non-orienté. Par ailleurs,
notre savoir, nos pensées, nos émotions, sont le résultat
du temps. Ce qui me gêne aussi dans les méthodes c'est qu'on utilise
le temps, alors que se libérer de toute contrainte est se libérer
du temps.
Réponse : Une fois
qu'est réalisée la nature ultime de l'esprit, il n'y a plus de
méthodes. Mais pour réaliser l’état au-delà
des méthodes, il faut s'appuyer sur les méthodes. Sans cet appui,
il est impossible de réaliser l'état ultime. Les méthodes
impliquent une progression s'inscrivant dans le temps : c'est aussi en s'appuyant
sur le temps que l'on arrive au non-temps.
Question : Le temps existe-t-il
réellement ou n'est-il qu'une projection de l'esprit ?
Réponse : Du point
de vue ultime, celui de l'Etat de Bouddha, il n'y a pas de temps.
Mais pour nous, jusqu'à
cette réalisation ultime, le temps existe. Nous appréhendons
maintenant les trois tempsle
passé, le présent et l'avenircomme réels. Accorder une
réalité
au passé ou à
l'avenir crée de nombreuses souffrances par les souvenirs, les soucis
et les
projets dont nous agitons
notre esprit. En fait, le passé n'existe plus et l'avenir n'existe pas
encore, mais, rendant réels
par la pensée ces deux pôles illusoires, nous souffrons. Des trois
temps, ce sont le passé
et l'avenir qui, bien qu'inexistants, nous causent le plus de souffrances.
Et, en ce domaine, l'avenir
l'emporte sur le passé. Nous concevons maintenant ces trois temps
comme existant réellement
; par une progression dans le temps nous approfondissons
graduellement la compréhension
de l'irréalité des trois temps jusqu'à ce que nous arrivions
au
non-temps.
Question : Puisque les choses
sont impermanentes, cela signifie pourtant qu'il y a un temps ?
Réponse : Le temps,
maintenant, pour nous, existe, et par conséquent l'impermanence. Le non-temps
est l'éternité.
(1) La plénitude de
la bouddhéité, autrement dit de l’Eveil, est décrite
en termes des trois Corps d'un Bouddha, Corps ne signifiant pas dans ce contexte
organisme physique, mais aspect de l'être.
�Le Corps Absolu (skt.
dharmakaya), mot-à-mot et techniquement corps d'ultimité de
tout existant, est non-manifesté,
inaccessible à toute détermination, ineffable,
semblable à l'espace.
Il peut être dit éternel et infini, ou encore a-temporel et a-spatial,
bien qu'en lui s'inscrive
le jeu de tout temps et de tout espace.
�Le Corps de Gloire
(skt. sambhogakaya), dit aussi Corps de complète jouissance des
qualités de l’Eveil,
est une manifestation formelle de l'Eveil, non-matérielle, de la
nature de la lumière,
issu de la dynamique propre du Corps Absolu. Invisible aux êtres
ordinaires, il est perçu
par les bodhisattvas des trois terres supérieures. Echappant à
la
nature transitoire des phénomènes,
il n'est pas sujet aux altérations temporelles.
�Le Corps de Manifestation
(skt. nirmanakaya), désigne un Bouddha apparaissant à un
degré de manifestation
ordinaire, comme, par exemple, le Bouddha Shakyamouni.
Expression de la compassion,
il guide les êtres vers la libération.
On ajoute souvent un quatrième
Corps, le Corps d'Essence-même (skt. svabhavikakaya)
qui n'est en fait qu'une manière
d'exprimer l'indissociation essentielle des trois précédents.
NUANCES COMPLEMENTAIRES
LE CIEL ET L'ESPRIT
Beaucoup de personnes désirent méditer. Elles comprennent bien que
la méditation concerne l'esprit, mais ne savent généralement
pas ce qu'elle est précisément. C'est un peu comme le ciel. Tout
le monde sait ce qu'il est ; personne ne vous dira jamais : « Le ciel ?
Connais pas. » Mais l'idée qu'on a du ciel est très imprécise
et il est très rare de rencontrer quelqu'un capable de le définir.
Si vous demandez « qu'est-ce que le ciel ? » la personne interrogée
ne pourra guère que pointer le doigt vers le haut et dire : « c'est
ça le ciel. » De même pour la méditation : on sait qu'elle
existe, on pense le plus souvent que c'est une bonne chose, mais on ne sait pas
vraiment ce qu'elle est.
Qu'est-ce que le ciel ?
On dira habituellement que le soleil est au centre du ciel, la notion de centre
impliquant celle de confins. Un Français sera enclin à concevoir
ce centre et ces confins en relation avec la France, mais un habitant d'un autre
pays appliquera ce même rapport à son pays. Cela suffit à
montrer que les notions de centre et de confins du ciel ne sont que subjectives
et ne correspondent pas à une description de la réalité.
Les personnes qui ont l'heureuse fortune d'habiter la Provence disent souvent
: « Que le ciel est beau chez nous ! » Est-il cependant possible de
délimiter un morceau de ciel dont on pourrait dire, de manière exclusive
: « cette partie du ciel est le ciel de la Provence ».
Tout le monde sait encore que le ciel est bleu. Mais bien peu de personnes savent
la raison de cette couleur. D'où vient-elle ? Est-elle matérielle
? Immatérielle ? Quelle est aussi la dimension du ciel ?
La méditation concerne l'esprit. L'esprit est très semblable au
ciel : sans forme, sans substance, sans dimension. Tout comme le ciel, tout le
monde sait qu'il existe, mais très rares sont ceux qui savent ce qu'il
est véritablement. Tout comme le ciel, l'esprit est dépourvu de
centre et de limites. Nous n'avons cependant pas l'expérience de cet état
illimité ; nous réduisons au contraire l'infini au fini et demeurons
enfermés dans les limites étroites de ce que nous appelons «
moi ». Ce rétrécissement correspond à la limitation
subjective impliquée dans la notion de « notre ciel » quand
un Provençal, par exemple, parle du ciel du midi de la France, comme s'il
existait un morceau de ciel qu'on pourrait découper et définir comme
se rapportant spécifiquement à une région. Dans l'esprit
infini, sans centre ni limites, nous nous assimilons à une entité
très réduite : l'égo. De là surgissent toutes nos
souffrances et toutes nos difficultés, tant physiques que mentales.
Il est vrai que certaines souffrances sont en relation avec les circonstances
extérieures et qu'il est plus ou moins possible d'y apporter des solutions
matérielles. Face aux souffrances intérieures, par contre, tout
remède matériel reste vain.
Supposons un roi dans un pays en paix et prospère, la nuit, dans son palais
bien gardé. Ce roi, qui possède toutes les circonstances extérieures
du bonheur, dort. Dans son rêve surgit un ennemi qui le poursuit et cherche
à le tuer. Le roi souffre d'angoisse et de frayeur. Les souffrances de
ce rêve ne sauraient être soulagées par aucun remède
extérieur à l'esprit du rêveur. Nous pouvons, de même,
posséder toutes les conditions matérielles nécessaires pour
être heureux, c'est sans utilité pour l'esprit qui souffre. Seules
la voie spirituelle et la méditation permettent de se délivrer des
souffrances, des angoisses et des difficultés intérieures.
L'EGO ET LES CINQ POISONS
Notre esprit est fondamentalement infini, il n'est pas limité par les contraintes
d'une existence individualisée ; il n'y a pas d'égo. Bien qu'il
n'existe pas, nous nous assimilons à cet égo illusoire. Il est le
centre et la pierre de touche de toutes nos relations : tout ce qui en conforte
l'existence, tout ce qui lui est favorable, devient objet d'attachement ; tout
ce qui, au contraire, menace son intégrité devient un ennemi source
d'aversion. Par ailleurs la présence même de l'égo occulte
la véritable nature de notre esprit et des phénomènes, nous
rend incapables de discriminer entre le réel et l'illusoire. Nous sommes,
en ce sens, prisonniers de l’opacité mentale. L'égo engendre
aussi la jalousie vis-à-vis de toute personne considérée
comme un rival possible, dans quelque domaine que ce soit. Enfin l'égo,
se veut supérieur aux autres : c'est l'orgueil.
Attachement, aversion, opacité mentale, jalousie, orgueil, sont les cinq
poisons de base produits par la saisie égocentrique.
Ils constituent un obstacle irrévocable à la paix intérieure,
créant sans discontinuité inquiétudes, troubles, difficultés,
angoisses et souffrances. Non seulement pour soi-même, mais encore pour
autrui. Il est évident, par exemple, que la colère est souffrance
pour soi- même et pour celui à qui elle s'adresse, accablé
par un visage furieux, des imprécations et des mots blessants.
L'égo et les cinq poisons nous conduisent en outre à accomplir des
actes de caractère nuisible qui impriment dans notre esprit un potentiel
karmique (1) négatif, dont la maturation s'exprimera sous la forme de circonstances
douloureuses.
L'égo et sa suite sont notre véritable ennemi, non pas un ennemi
visible que pourraient vaincre les armes ou quelque objet matériel, mais
un ennemi invisible à qui seules la méditation et la voie spirituelle
apportent la défaite. La science contemporaine a mis au point des armes
d'une extrême puissance, des bombes capables de tuer d'un coup des centaines
de milliers de personnes. Mais aucune bombe ne peut anéantir l'égo
et les cinq poisons. En ce domaine, la vraie bombe atomique, c'est la méditation.
L'ESPRIT EN VACANCES
Notre esprit est, dans son état habituel, habité en permanence de
pensées liées aux cinq poisons. Elles se présentent à
tour de rôle : tantôt sous l'influence de l'aversion, tantôt
de
l'attachement, tantôt de l'opacité mentale, tantôt de la jalousie,
tantôt de l'orgueil. L'intensité de ces pensées peut varier
grandement, mais il n'est pas un seul instant où notre esprit n'en soit
agité.
C'est une belle journée de vacances : pas de travail à faire, la
nourriture est prête, aucune discussion à entreprendre. Quelqu'un
peut être assis tranquillement ainsi, sans aucun souci extérieur.
Pourtant son esprit se fatigue. Continuellement perturbé, même de
manière faible, par le jeu des poisons qui l'habitent, il est incapable
de s'établir dans une paix authentique. L'esprit n'est pas en vacances.
L'esprit ne peut prendre de vacances que par la méditation. Non que celle-ci
permette la disparition totale des pensées ; mais elles perdent de la force
et, par intervalle, s'estompent. L'esprit connaît alors davantage de paix
et de bonheur. Il se repose.
Les Occidentaux travaillent beaucoup toute l'année, dans un bureau ou ailleurs,
et disposent d'un ou deux mois de vacances. C'est pour eux l'occasion d'aller
à l'étranger, de se rendre au bord de la mer, à la montagne
ou à la campagne, dans l'idée d'y trouver le bonheur et le repos.
Malheureusement, l'esprit, quant à lui, ne part guère en vacances
: les cinq poisons, les souffrances et les difficultés intérieures
font partie du voyage. En fait ce ne sont que des demi-vacances. Seule la méditation
procure des vacances à plein temps.
MEDITATION DANS LA VIE
Un débutant doit nécessairement se retirer dans un endroit calme,
adopter une posture spécifique, garder le silence et respecter certaines
conditions. L'habitude et l'expérience venant on devient cependant capable
de méditer en toutes circonstances : en marchant, en travaillant, en parlant,
en mangeant, etc. On dispose dès lors de beaucoup de temps pour la méditation.
De plus en toutes circonstances on garde l'esprit serein, ouvert et détendu.
Cette expérience de l'aise et de la sérénité, c'est
cela même la méditation.
C'est aussi une expérience de liberté. La liberté est une
valeur à laquelle on attache de nos jours une importance extrême.
Mais nous aurons beau avoir toute liberté extérieurement, tant que
notre esprit restera prisonnier de ses poisons et de ses pensées, nous
ne serons pas libres.
Un conducteur novice est très tendu au volant ; il craint de provoquer
un accident, de ne pas savoir manoeuvrer comme il le faudrait. Lorsque l'habitude
vient, le conducteur est par contre capable, tout en étant pleinement présent
à ce qu'il fait, de parler avec la personne assise à côté
de lui. La conversation ne l'empêche plus de rester concentré sur
le maniement de la voiture et d'être attentif à la signalisation
routière. Le méditant novice doit de même être extrêmement
attentif au seul exercice de la méditation ; puis progressivement il développe
la capacité de poursuivre la méditation tout en s'occupant à
autre chose, en parlant ou en travaillant. On éprouve alors en toute occasion
une grande aise intérieure et une authentique liberté.
UN VISAGE OUVERT
Au fur et à mesure que nous progressons dans la pratique méditative,
les poisons de l'esprit deviennent moins virulents et les pensées diminuent.
Quand bien même elles restent présentes, elles perdent leur caractère
contraignant et ne sont donc plus cause de souffrances. Notre esprit s'apaise
et connaît la joie. Celle-ci se reflète jusque dans notre physique
: notre visage est ouvert, avenant, joyeux. Nous devenons d'un contact facile
et agréable ; les autres aiment nous fréquenter. La paix et le bonheur
intérieurs rayonnent à l'extérieur.
SUBJECTIVITE
Notre manière de percevoir les êtres et le monde dépend principalement
de notre état d'esprit. Supposez que vous soyez invité à
manger par une personne à l'égard de laquelle vous éprouvez
une haine profonde. L'endroit est agréable, la nourriture bonne ; cependant
votre haine rend la nourriture infecte et le lieu sans charme. Lorsque, par contre,
une personne que vous chérissez vous invite dans un endroit sans agrément
et vous sert une nourriture médiocre, les plats deviennent exquis et l'environnement
un paradis !
La différence est créée par notre mode de perception, que
conditionne l'attachement ou l'aversion.
LA MEDITATION DEJA PRESENTE
La méditation n'est pas quelque chose d'extérieur qu'un Bouddha
ou un maître placerait dans notre esprit. Elle y est dès à
présent, quoique à l'état potentiel. Un maître ne fait
qu'indiquer cette présence latente et nous donne les moyens de la découvrir
en nous mêmes. Nous possédons tous l'état de méditation,
mais nous ne savons pas nous en servir. Nous sommes dans la situation de quelqu'un
qui posséderait une belle voiture, mais ne saurait pas conduire. Le véhicule,
aussi perfectionné soit-il, ne peut mener nulle part. Cependant, on peut
aller trouver un moniteur et apprendre à conduire. Il faudra peut-être
un mois ou deux d'apprentissage, au terme desquels nos efforts, dirigés
par le moniteur, nous permettront de nous servir de la voiture, jusque là
inutilisable. De même, l’état de méditation et l'Etat
de Bouddha sont dés à présents en nous mais, sans l'aide
d'un instructeur qualifié, nous sommes incapables de les rendre opératoires.
Ce serait tout-à-fait étrange de posséder une excellente
voiture et de devoir la laisser au garage, tout simplement parce qu'on ne voudrait
pas apprendre à conduire. Il est aussi tout à fait étrange
de laisser endormi le potentiel d'Eveil de notre esprit du fait que nous reculons
devant l'effort et la persévérance que demande l'apprentissage de
la méditation.
LA PERSEVERANCE
Se rendre d'Aix-en-Provence à Paris en voiture est une longue route. N'ayant
jamais fait le trajet, nous penserons peut-être qu'une heure suffira. En
fait, après une heure de route, force est de constater qu'il reste de très
nombreux kilomètres à parcourir. Si cette perspective nous décourage
et que nous préférons nous arrêter là, jamais nous
n'arriverons à Paris.
Certaines personnes, de même, s'engagent dans la méditation emplies
d'espoir. Après quelques mois, voire quelques jours d'assiduité,
elles n'obtiennent pas les résultats escomptés, se lassent et abandonnent.
Un long voyage en voiture est fatiguant, c'est pourquoi on le coupe de pauses,
on s'arrête pour boire un thé ou un café, puis l'on repart.
Quand la lassitude touche notre méditation, au lieu d'abandonner par dépit
ou par désintérêt, on fait aussi une pause pour détendre
l'esprit, puis on reprend le cheminement.
Les débutants apprécient généralement la méditation,
mais éprouvent des difficultés à faire un effort. Ils ont
confiance dans la voie, l'intelligence nécessaire pour la comprendre, mais
manquent de diligence et de persévérance, pourtant essentielles.
Les débuts en méditation sont souvent mêlés d'un grand
espoir d'obtenir rapidement des expériences intérieures hors du
commun. Attente déçue : guère d'expériences merveilleuses,
pas d'état extraordinaire. Nous sommes pressés, mais le monde intérieur
n'obéit pas à notre impatience. Il arrive alors que, découragé,
on se lance dans une autre voie qui, à son tour, déçoit,
puis dans une autre et encore une autre.
Comment progresser dans ces conditions ?
Supposons que vous désiriez faire pousser une fleur vous préparez
la terre, vous y semez la graine, l'arrosez, la nourrissez d'engrais. Bientôt,
apparaît une pousse qui n'a rien de la beauté d'une fleur. Déçu,
vous arrachez la plante et, pensant mieux obtenir, semez une autre graine. Inévitablement,
le résultat sera le même. Semez autant de graines que vous voudrez,
vous ne verrez jamais la fleur. La patience et les soins constants apportés
à la plante sont indispensables pour que la fleur puisse éclore
un jour. La méditation demande aussi du temps pour se révéler
fructueuse. Patience, persévérance et régularité amènent
un jour à l'épanouissement de la fleur splendide de l'esprit. Méditer
ne serait-ce que dix minutes chaque jour sans y manquer, est déjà
profitable. En un mois, on aura médité cinq heures. Continuer ainsi
régulièrement au fil des mois et des années, permettra certainement
de progresser.
LA SAVEUR DE LA MEDITATION
Comprendre les bienfaits de la méditation est quelque chose d'impossible
sans une expérience personnelle, aussi impossible que de saisir le goût
d'un aliment inconnu. Si n'ayant jamais goûté de chocolat, vous me
demandez de vous expliquer son goût, je pourrais vous dire
-Hmmm, c'est bon!
-Bon comment ?
-Eh bien, c'est sucré.
-Sucré de quelle manière ?
Par des rapprochements, peut-être arriverais-je à vous donner une
idée très approximative du chocolat ; il resterait néanmoins
pour vous plus ou moins mystérieux. Si, par contre, vous mettez un morceau
de chocolat dans votre bouche, vous en connaissez immédiatement la saveur,
sans hésitation possible. Une explication, même détaillée,
des bienfaits de la méditation, restera toujours impuissante à les
faire comprendre". Seules une pratique personnelle et une expérience
directe feront découvrir son authentique saveur.
QUESTIONSREPONSES
Question : Je médite depuis plusieurs années, et j'ai maintenant
plutôt l'impression de régresser.
Réponse : Cela peut venir du karma, ou bien encore du fait que vous investissez
moins d'effort et de diligence dans votre pratique. Ce sentiment de régression
est souvent le signe du laisser-aller, du manque d'énergie. Mais c'est
peut-être aussi une erreur dans votre manière de méditer.
Lorsque nous rencontrons des difficultés à méditer, certains
remèdes doivent être apportés. Afin d'étayer la méditation
proprement dite, il faut mettre en oeuvre des techniques pour se purifier, rassembler
le mérite, s'ouvrir à la grâce du Maître, développer
l'aspiration et la diligence. Pour qu'une fleur voie le jour, il ne suffit pas
d'une graine : encore faut-il qu'elle soit nourrie par la terre, l'eau, l'engrais,
la chaleur. Méditer requiert aussi autre chose que la méditation
: purification, mérite, grâce, écouter fréquemment
des instructions, effort, persévérance. Seul un contexte complet
de méditation conduit à l'Eveil. Il arrive parfois que, même
progressant, on ait le sentiment de stagner, ou que stagnant, on ait l'impression
de progresser ! On est souvent le mauvais interprète de sa propre méditation.
Question : Les Occidentaux ne sont-ils pas handicapés dans la voie méditative
par la complexité de leur mental ?
Réponse : La différence et la difficulté ne viennent peut-être
pas de la complexité de l'esprit des gens. Il est vrai qu'en Inde ou au
Tibet, les conditions de vie étaient plus simples, mais l'esprit des hommes
était tout aussi complexe, encombré de toutes sortes de pensées
et de préoccupations. Les Occidentaux cultivent beaucoup plus leurs facultés
intellectuelles que les Orientaux, au détriment des valeurs spirituelles.
Les Orientaux, pour leur part, ont une foi et une diligence beaucoup plus grandes.
Telle est sans doute la vraie différence.
Question : L'état de Bouddha est-ce seulement la paix de l'esprit, ou cela
implique-t-il aussi une connaissance particulière ?
Réponse : La paix infinie de l'esprit est le lot propre d'un Bouddha. Inhérentes
à cette paix, se révèlent des qualités qui s'expriment
pour le bien d'autrui. Un Bouddha a la connaissance totale de la nature ultime
de tous les phénomènes. Il voit, en même temps, que les êtres
ordinaires, dépourvus de cette connaissance, souffrent : il est dès
lors amour et compassion, qu'il rend effectifs et agissants par son pouvoir de
secourir.
Question : Rimpotché peut-il donner une comparaison pour faire comprendre
l'illusion ?
Réponse : Nous prenons les apparences pour réelles. La méditation
nous conduit à comprendre leur caractère illusoire : elles sont
semblables à un reflet dans un miroir. De même est perçue
la nature illusoire des sons : ils sont semblables à un écho. Nos
pensées, prises à tort pour quelque chose de réel, sont en
fait semblables à un mirage. Accorder une existence réelle, inhérente,
aux apparences, aux sons et aux pensées, crée la souffrance. Percevoir
l'irréalité des apparences, des sons et des pensées, cela
ne signifie pas la cessation de la manifestation, mais la compréhension
que la manifestation est dépourvue de réalité intrinsèque.
Du même coup, elle perd tout pouvoir d'engendrer la souffrance.
(1). La loi du karma, qui signifie littéralement loi de causalité
des actes, veut que tout acte accompli dans la dualité d'un sujet et d'un
objet, que cet acte soit physique, verbal ou même mental, entraîne
un effet en retour pour celui qui agit. Cet effet est d'abord tout à fait
invisible et imperceptible, semblable à une empreinte ou une graine qui
s'inscrirait dans les couches les plus subtiles de la conscience individualisée,
en deçà même de l'inconscient des psychanalystes, dans l'alayavijnana,
c'est-à-dire le réservoir, ou plutôt, le potentiel de conscience.
A partir de cet état latent commence un processus de maturation qui s'étale
généralement sur plusieurs vies, voire sur des centaines de vies,
au terme duquel la graine karmique s'exprime en déterminant soit les circonstances
générales d'une existence (sexe, nationalité, richesse, possibilités
physiques, intellectuelles et affectives; etc.), soit des conditions passagères
(une maladie, une rencontre, un succès, un échec, etc.). Le tout
fonctionne- ce n'est qu'une comparaisonà la manière d'un ordinateur
: les données y sont extrêmement nombreuses, agissent les unes sur
les autres, et l'adjonction de nouvelles données modifie, plus ou moins,
les résultats. Du fait que nous agissons constamment sous l'emprise de
la dualité fonctionnement déformé qui ne cesse qu'à
la libérationc'est un flux permanent d'éléments nouveaux
qui nourrit notre potentiel karmique, en même temps qu'une constante maturation
en élimine d'anciennes imprégnations. L'ensemble du processus, loin
d'être statique, est une continuelle mouvance. Reste à ne pas oublier
que tous les phénomènes qui régissent notre vie sont l'expression
de notre karma et qu'isoler un élément est une erreur fréquemment
commise. Penser que, par exemple, si l'on tombe malade, c'est un résultat
karmique et qu'il est donc inutile de se soigner est une conception tout à
fait fragmentaire, oubliant que notre karma veut que nous ayons aussi des médecins
et des hôpitaux à qui nous adresser.
La loi du karma est en fait une vision très élargie des lois physiques
qui régissent notre univers. Si l'on sème du blé, il ne poussera
pas de riz. Le hasard ne gouverne pas en la matière. Pas plus qu'il n'a
droit de cité dans les conditions d'existence des individus. Très
complexe, puisque dépendant de l’interaction d'une infinité
d'éléments, la causalité karmique se résume pourtant
à un principe très simple : qui crée la souffrance imprime
en son propre tréfonds un potentiel de souffrance, qui crée le bonheur
imprime un potentiel de bonheur.
LA PACIFICATION MENTALE – Chiné
PRATIQUES PREPARATOIRES ET CONTEXTE
DE LA MEDITATION
1. LES QUATRE REFLEXIONS
Afin de réaliser, dès cette vie, la non-mort ultime, le véritable
mode d'être de l'esprit, par la pratique du mahamoudra (1), il est, au préalable,
indispensable de prendre profondément conscience :
-de la nature transitoire de tous les phénomènes manifestés,
-de la difficulté d'obtenir une existence humaine parmi toutes les possibilités
de renaissance,
-du caractère inéluctable des effets de nos actes, conditionnant
la nature heureuse ou douloureuse de nos vies à venir,
-de l'immanence de la souffrance dans tous les types d'existences conditionnées.
A moins de réfléchir attentivement à ces quatre points et
de s'en imprégner, la méditation profonde est impossible.
2. LES QUATRE PRELIMINAIRES SPECIFIQUES
(2)
Il est ensuite nécessaire d'ancrer et d'élargir sa confiance par
la pratique de la prise de Refuge, fondement de la voie du Bouddha, de préciser
aussi la motivation juste par le développement de la bodhicitta, l'esprit
d'Eveil, c'est-à-dire l'aspiration d'atteindre l'Eveil non pour soi-même,
mais pour devenir capable de secourir l'ensemble des êtres.
En second lieu, il faut se purifier des voiles et des impuretés accumulés
depuis des temps sans commencement ; cette purification est effectuée par
la pratique de Dordjé Sèmpa (skt. Vajrasattva).
Non seulement, on s'efforce d'ôter les entraves de l'esprit, mais on le
restructure positivement par la double accumulation de mérite et de sagesse,
accomplie par l'offrande du mandala.
Enfin, on ouvre son esprit à la grâce du maître spirituel par
la pratique de l'union spirituelle (skt. gourou-yoga).
Ces quatre pratiques préliminaires spécifiques doivent être
effectuées avec application.
3. LES QUATRE CONDITIONS
La condition causale : tous les aspects du cycle des existences conditionnées
(skt. samsara) sont souffrance par nature. Non que le bonheur en soit totalement
absent, mais il y est fugitif, superficiel, sans authenticité, fondamentalement
changeant. Reconnaître cette nature douloureuse du cycle des existences
et, parallèlement, aspirer à la réalisation du mode d'être
ultime de l'esprit, le mahamoudra, qui permet de s'en libérer, est la condition
causale de la méditation, l'élan initial donné à notre
cheminement.
Tant que, en revanche, nous considérerons notre situation dans le monde
comme heureuse, nous n'aurons nulle raison de nous en détourner.
La condition magistrale : l'aspiration à se libérer n'est pas suffisante
en elle-même. Encore faut-il que le chemin nous soit montré par un
maître. Sur la condition causale doit être greffée la condition
magistrale. Le maître peut être envisagé sous quatre aspects,
le premier étant un passage obligé pour accéder aux trois
autres :
La personne humaine en tant que maître se réfère à
celui qui nous expose la voie spirituelle et nous explique le mode d'être
de l'esprit. Se contenter de livres n'est pas suffisant pour une première
approche. Seule la parole vivante d'un maître peut imprimer en nous une
conviction suffisamment profonde.
La Parole du Bouddha en tant que maître : une fois comprises les différentes
facettes du Dharma, une fois acquise la compréhension du mode d'être
grâce aux explications d'un maître, nous pouvons, ayant commencé
à méditer, confronter notre expérience à la Parole
parfaite du Bouddha ainsi qu'aux commentaires et aux traités rédigés
par des maîtres compétents. Nous examinons ainsi la validité
et le sens de nos découvertes intérieures.
Les apparences en tant que maître : lorsque nous avons acquis à la
fois une bonne expérience de la méditation et un système
de références théoriques sur lequel nous appuyer, les apparences
extérieures deviennent des auxiliaires de la méditation. La terre
est ainsi le fondement solide sur lequel vivent les hommes et les animaux, poussent
les plantes, sont érigés des édifices. Sur elle, repose toute
possibilité d'existence en notre monde. La foi et la confiance ont cette
même qualité fondamentale : sans elles, aucun cheminement spirituel
n'est possible. Voir la terre sera donc le rappel de la foi. Le courant continu
des eaux d'une rivière exprime, quant à lui, ce que doit être
notre effort : une persévérance sans discontinuité. Le feu
symbolise le feu de la connaissance. La mouvance du vent rappelle la nature transitoire
et changeante des phénomènes. Lorsque les apparences perçues
évoquent ainsi une correspondance avec les éléments de notre
cheminement intérieur, elles fonctionnent dès lors en tant que maître
spirituel (3).
La réalité ultime en tant que maître : nous développons
finalement la réalisation que tous les phénomènes, extérieurs
ou intérieurs, animés ou inanimés, n'existent pas en mode
séparé, mais sont l'expression de la clarté de l'esprit lui-même.
Cette réalisation de l'indivisibilité des apparences extérieures
et de l'esprit signifie que la réalité ultime est devenue le maître
spirituel.
La condition objective définit le juste objet de la méditation,
autrement dit le savoir- méditer : l'esprit du méditant reste libre
de surimpressions mentales, son expérience est dépourvue de commentaires
tels que « mon esprit est clair » ou bien « mon esprit est heureux
», ou bien « mon esprit est vide ». L'esprit est laissé
libre, tel qu’il est naturellement. La méditation ne consiste nullement
à ajouter quelque chose à l'état naturellement simple, spacieux
et paisible de l'esprit. On ne médite pas quelque chose dans le sens où
l'on fabriquerait un état nouveau venant se rajouter à l’esprit
tel qu'il est en lui-même. La méditation, c'est retrouver l’état
naturel. L'esprit demeure sans distraction en sa propre essence, en son propre
mode d'être. Connaître ce qu'est ainsi la méditation est la
condition objective.
La condition immédiate : « laisser l'esprit tel quel, sans intervention
mentale, est-ce bien la méditation ? ». « J'espère que
ma méditation sera bonne ». « Pourvu que ma méditation
ne soit pas mauvaise ! ». De tels doutes, espoirs et craintes contredisent
l'esprit de méditation. On demeure simplement dans le présent. Ecarter
espoirs et craintes est la condition immédiate.
Nous avons envisagé au total douze éléments, répartis
en trois groupes :
-les quatre réflexions fondamentales, dites encore les quatre préliminaires
communs:
�la nature transitoire des phénomènes �la rareté
de l'existence humaine �l'inéluctabilité des effets des actes
�la souffrance, caractéristique des existences conditionnées.
- les quatre préliminaires spécifiques
�prise de Refuge et bodhicitta �purification par la pratique de
Dordjé-Sèmpa �accumulation positive par l'offrande du mandala
�ouverture à la grâce par l'union spirituelle.
- les quatre conditions
�condition causale �condition magistrale �condition objective
�condition immédiate.
La réunion de ces douze éléments crée le contexte
idéal pour la méditation.
Certaines personnes ont tendance à penser que seule importe la méditation
proprement dite, que sont superflues les pratiques préparatoires et les
circonstances auxiliaires. Pressées de méditer, elles regardent
tout le reste comme un empêchement. Mais se lancer sans préparation
ne conduit pas à une bonne méditation. Faire pousser une fleur demande
non seulement une graine, mais encore une main humaine, un outil pour travailler
la terre ; il faut ensuite que la graine dispose d'eau, de chaleur et d'engrais.
Sans tous ces éléments annexes, la graine, bien que primordiale
dans le processus, ne donnera jamais de fleur. Pour aborder la méditation
du mahamoudra, qui conduit à la reconnaissance de la nature ultime de l'esprit,
et par conséquent, à la libération, il est de même
nécessaire de réunir les douze éléments qui viennent
d'être mentionnés.
CORPS DE LA PRATIQUE
LA POSTURE CORPORELLE
La posture complète comprend sept points :
� les jambes croisées dans l'assise adamantine, le pied gauche sur
la cuisse droite, puis le pied droit sur la cuissegauche, �la colonne vertébrale
droite comme une flèche, �les épaules écartées,
comme les ailes d'un vautour, �les mains dans le moudra (4) de la méditation,
main droite posée sur la main gauche, paumes vers le haut, le menton formant
un angle droit avec la gorge, �le regard posé dans le vague, en
oblique vers le bas, dans la direction d’un point virtuel situé quatre
ou huit doigt en avant de la pointe du nez, �la bouche et la langue relâchées.
Loin d'être arbitraire, chaque point de la posture a sa raison d'être
en relation avec le système d'énergies subtiles qui parcourt notre
corps, étroitement lié à la production des pensées
(5).
PLACER L’ESPRIT
Le corps ainsi établi dans la posture correcte, il faut dès lors
éviter la tension mentale provenant de la fixation sur l'idée «
je médite ». L'esprit reste détendu, ouvert, spacieux, limpide,
ne s'égarant ni dans les souvenirs, ni dans les pensées concernant
l'avenir, ne se méprenant pas non plus sur la réalité des
pensées présentes. Il reste dans un état de vigilance, sans
distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans
tension. Le méditant ne doit pas éprouver la sensation d'être
dans un défilé encaissé et sombre, bouché par le brouillard,
mais plutôt au sommet d'une montagne, là où l'altitude et
la limpidité du ciel permettent de voir clairement tout l'horizon.
Cette manière de placer l'esprit est essentielle. On a souvent tendance
à aborder la méditation très tendu, s'attachant à
une non-distraction forcée. Sans savoir tout d'abord relâcher son
esprit, le laisser ouvert et heureux, il n'est pas possible de méditer.
C'est une condition obligatoire.
(méditation) (6)
EXERCICES DE MEDITATION
L'esprit ainsi posé, on s'applique à la concentration sur l'objet
choisi, en premier lieu dans le contexte de la pacification mentale (tib. chiné).
De multiples méthodes sont possibles. Nous allons en envisager quelques-unes.
Chiné peut tout d'abord être pratiqué en utilisant un support,
impur ou pur (2).
La notion de support impur se réfère à n'importe quel objet
de nature ordinaire que l'on sélectionne pour y appliquer sa concentration
: une montagne, une colline, un bâtiment, une table, un verre ou tout autre
objet. On y pose son esprit détendu et sans distraction.
Nous pouvons par exemple méditer sur ce siège face à nous.
Se concentrer ne signifie pas ici se livrer à un examen discursif, même
très attentif, des caractéristiques de l'objet : sa forme, sa hauteur,
sa surface, les motifs du tissu qui le couvre, la nature et les nuances de ce
tissu, etc. Il ne s'agit pas non plus de projeter son esprit comme s'il venait
se placer à l'intérieur du siège. Simplement, nous-mêmes
étant à un certain endroit et le siège à un autre,
notre esprit est posé sur ce qu'il voit, sans distraction, sans être
emporté par d'autres pensées, sans tension non plus.
(méditation)
Certains d'entre vous réussissent sans doute ainsi à stabiliser
leur esprit de manière satisfaisante sur l'objet de concentration ; d'autres
y seront présents par moments, parfois égarés dans d'autres
pensées, cette alternance pouvant même être très rapide.
Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de forcer la concentration, mais de travailler
dans les conditions telles qu'elles se présentent, détendu et ouvert
à la situation.
Un support pur, en second lieu, désigne toute représentation symbolique
ou non, possédant un caractère sacré. Nous pouvons, par exemple,
visualiser dans l'espace face à nous, le corps du Bouddha, créant
mentalement une image claire, lumineuse, rayonnante, parfaitement proportionnée,
sur laquelle nous nous concentrons sans distraction.
(méditation)
Il est probable que cette image apparaîtra dans notre esprit tantôt
clairement, tantôt de manière confuse et fugitive ; tantôt
elle sera même totalement absente. C'est sans grande importance. S'essayer
à méditer ainsi est bon en soi et la répétition régulière
de l'exercice conduira à une visualisation de plus en plus claire et stable.
L'alternance de clarté et de confusion, voire l'impossibilité de
visualiser, sont des phénomènes normaux pour des commençants.
La persévérance affinera progressivement leurs capacités.
Un autre support pur est d'imaginer un petit globe de lumière (tib. tiglé
; skt. bindou) blanche au niveau du front, très vif, très brillant.
Ce support est regardé comme pur dans la mesure où on le considère
ici comme symboliquement indifférencié du maître spirituel.
(méditation)
Enfin, chiné peut être pratiqué sans support. L'esprit est
laissé libre, détendu, en même temps sans distraction.
(méditation)
Nous avons vu ainsi quatre possibilités de concentration :
- sur un support impur,
-sur un support pur : � soit le corps du Bouddha, � soit un petit
globe de lumière.
- sans support.
Certains auront sans doute découvert une affinité plus particulière
avec le premier type d'exercice, d'autres avec le second, d'autres avec le troisième,
d'autres avec le quatrième. D'autres encore n'auront pas de préférence
marquée. Dans le premier cas, le mieux est de poursuivre la pratique quotidienne
en utilisant la méthode de votre choix. Dans le second cas, vous pouvez
pratiquer chacune alternativement. Quoi qu'il en soit, ce sont la régularité
et la persévérance qui permettront de progresser sur le chemin de
la pacification.
LE TRAITEMENT DES PENSEES
Les débutants, ne sachant pas très bien ce qu’est la méditation,
s'attendent à un calme parfait, totalement libre des pensées. Ils
craignent leur venue, et lorsqu'elles surgissent se désolent de leur incapacité
à méditer. Craindre les pensées, s'irriter ou s'inquiéter
de leur apparition, croire que l'absence de pensées est une bonne chose
en soi, sont des erreurs conduisant à un état de frustration et
de culpabilisation inutiles.
L'esprit d'un non-méditant, d'un débutant et d'un méditant
confirmé est traversé de pensées ; mais la manière
de les aborder varie considérablement de l'un à l'autre.
Quelqu'un qui ne pratique pas la méditation est, dans sa relation aux pensées,
semblable à un aveugle, le visage tourné vers une lointaine autoroute.
L'aveugle est incapable de voir si des voitures passent ou non sur l'autoroute.
De même, la personne ordinaire, tout en éprouvant un sentiment vague
d'inconfort et de malaise intérieurs, n'est nullement consciente du flot
des pensées, qui, pourtant, se déverse sans interruption.
Commençant à méditer, on se découvre des yeux pour
voir, mais on voudrait qu'aucune voiture ne passe sur la route. Vient une première
voiture, notre attente est déçue. Une seconde, nouvelle déception.
Une troisième, nous nous irritons, etc. L'espoir naïf d'une autoroute
vide est sans cesse trompé. On est à la fois conscient et malheureux
de la succession des véhicules. Chaque voiture qui passe est une nouvelle
difficulté. On s'installe dans la révolte contre un état
de choses inévitable. Lorsqu'on envisage de même la méditation
comme un espace dépourvu de pensées, chaque pensée qui se
présente contredit avec évidence ce schéma préconçu
; on est en situation d'échec quasi permanent.
Lorsqu'on a, par contre, bien compris en quoi consiste la méditation, on
voit défiler les voitures, mais sans révolte ni refus, sans avoir
décidé que l'autoroute devrait être vide. On n'espère
pas l'absence de véhicules, pas plus qu'on ne s'effraie de leur présence.
Les voitures passent et on les laisse passer ; elles ne sont ni nuisibles, ni
bénéfiques. Si les pensées s'élèvent, on les
laisse passer naturellement, sans s'y attacher ni les condamner ; si elles ne
s'élèvent pas, on n'y trouve pas sujet de satisfaction particulière.
Une approche saine des pensées conditionne une bonne méditation.
Les personnes qui comprennent mal la méditation croient que toutes les
pensées doivent cesser. Nous ne pouvons pas, en fait, nous établir
dans un état sans pensées. Le fruit de la méditation n'est
pas l'absence de pensées, mais le fait que les pensées cessent de
nous nuire. D'ennemies, les pensées deviennent des amies.
Une mauvaise méditation vient en général de la négligence
des pratiques préparatoires, mais aussi, celles-ci étant accomplies,
de la mécompréhension de la manière juste de placer l'esprit.
Les personnes ordinaires ont l'esprit perpétuellement distrait, éparpillé.
Lorsqu'on médite, d'autre part, le plus grand empêchement vient des
productions mentales surajoutées, des commentaires sur soi-même et
des préconceptions. La méditation authentique évite autant
la distraction que les ajouts mentaux.
(1). Le terme mahamoudra (le grand sceau) désigne la révélation
de la nature ultime de l'esprit, libre de toute illusion et de toute erreur. On
l'emploie cependant pour désigner trois niveaux :
-l'esprit ultime à l'état potentiel présent en chaque être,
-le chemin qui mène à l'actualisation de ce potentiel, chemin dans
lequel la pacification mentale et la vision supérieure sont incluses.
-l'actualisation elle-même, en tant que méditation et en tant qu'état
permanent.
(2) Les préliminaires spécifiques mentionnés ici appartiennent
en propre au contexte du vajrayana, autrement dit des tantras. L'explication de
leur pratique doit être reçue de la part d'un lama.
(3) Bokar Rimpotché donna aux habitants de Nice, lors d'un enseignement,
un conseil qui illustre bien comment les apparences peuvent servir de maître
:
" Les Niçois entretiennent une relation privilégiée
avec la mer : les uns en vivent, les autres aiment s'y baigner, s'y promener en
bateau ou s'y livrer à des sports nautiques ; d'autres simplement aiment
la contempler. D'une manière ou d'une autre, elle fait partie de la vie
et du paysage de chacun. Eh bien, chaque fois que vous voyez la mer ou que vous
pensez à la mer, qu'elle soit pour vous le symbole et le rappel de la compassion.
»
« A Nice, d'autre part, tout le monde aime le soleil, pour s'y chauffer
sur la plage, ou bien simplement appréciant la luminosité qu'il
répand. Chaque fois que vous voyez le soleil, que vous pensez au soleil,
qu'il soit pour vous le symbole et le rappel de la connaissance. »
« De la sorte, compassion et connaissance seront de plus en plus présents
dans votre esprit. »
(4) Moudra : désigne une posture symbolique des mains, statique ou dynamique.
(5) Il existe une posture légèrement simplifiée, ne comportant
que cinq points, à savoir les mêmes que ceux de la posture à
sept points moins la position des épaules et celle de la bouche. Croiser
les jambes dans la posture adamantine est souvent difficile pour la plupart des
Occidentaux ; dans ce cas, il est conseillé d'adopter la posture du bodhisattva
: le talon gauche est coincé contre le périnée, le pied et
la jambe droite posés à plat devant. A moins d'être naturellement
souple ou particulièrement habitué, il est en général
nécessaire de se surélever les fesses au moyen d'un coussin dur
et épais.
Le rapport entre la posture, la circulation des souffles dans les canaux subtils
et les perturbations subséquentes de l'esprit est bien illustré
par les modifications mentales entraînées par une position incorrecte
du tronc, donc de la colonne vertébrale et de l'axe du corps :
-Si l'on penche vers la gauche, est-il traditionnellement expliqué, on
éprouve tout d'abord une sensation de bonheur qui dégénère
ensuite en désir ;
-Si l'on penche en avant, on éprouve une sensation d'absence de pensées,
qui dégénère en obscurité mentale ;
-Si l'on penche en arrière, on éprouve une sensation de vacuité,
qui dégénère en orgueil.
(6) Le mot méditation entre parenthèses indique les moments de silence
consacrés à la méditation lorsque ces enseignements furent
donnés en public.
(7) Les termes purs et impurs ne se réfèrent pas ici à des
observances rituelles arbitraires, mais à la nature essentielle de l'objet.
Les apparences ordinaires que nous percevons sont dites impures car elles sont
le fruit de nos conditionnements karmiques et par conséquent du fonctionnement
de l'esprit vicié par les différents voiles qui l'entravent : ignorance,
saisie dualiste, émotions conflictuelles et karma. Par contre tout objet
à caractère sacré tire sa source de la totale pureté
de l'Esprit Eveillé. Il est l'expression de sa grâce et de sa compassion.
Impur et pur décrivent, en fait, moins l'objet en soi que son origine.
Il est évident que pour un être Eveillé la distinction devient
caduque.
LA VISION SUPERIEURE – Lhaktong
La multiplicité immense des possibilités de manifestation implique
une extrême variété de types d'existences, chacune avant des
déterminations propres. Nous-mêmes, humains, sommes dotés
d'intelligence, capables de nous exprimer à l'aide d'un registre de significations
étendu et complexe, capables de comprendre, pourvus d'un intellect bien
supérieur à celui des animaux. Prendre conscience de cette situation
existentielle favorable est une cause légitime de joie. Force est cependant
d'en constater l'évidente limite : la souffrance. Physiquement, mentalement,
nous souffrons.
Beaucoup d'hommes ont une idée tout à fait fausse de la relation
qui unit le corps et l'esprit. Ils pensent que l'esprit n'est qu'une fonction
totalement dépendante de l'organisme physique ; pour eux, sans corps pas
d'esprit. La mort du corps physique signifierait par conséquent la fin
simultanée de l'esprit. A l'encontre de ces vues matérialistes,
la connaissance spirituelle enseigne que le corps et l'esprit ne sont pas liés
dans ce rapport indissoluble. Le corps est bien le produit issu des éléments
génétiques physiques des parents, mais l'esprit ne vient pas de
l'esprit des parents. Il existe, dans le domaine des existences conditionnées,
depuis des temps sans commencement en tant que conscience individualisée,
immatérielle et sans discontinuité. Le corps et l'esprit sont essentiellement
distincts.
La souffrance affecte donc notre corps et notre esprit. La souffrance physique
n'est qu'occasionnelle, provoquée par la maladie ou des circonstances passagères
; la souffrance mentale est un état continuel, qui ne nous quitte ni le
jour ni la nuit, mais dont nous n'avons souvent que peu conscience, tant la force
de l'habitude nous le fait prendre pour normal. Supposons quelqu'un se trouvant
dans les meilleures conditions physiques possibles : en bonne santé, rassasié,
confortablement allongé chez lui le soir. Néanmoins, tant qu'il
n'a pas sombré dans le sommeil, son esprit n'est pas en paixtantôt
il ressasse les événements de la journée ou des jours précédents,
tantôt il s'inquiète de l'avenir, nourrissant des projets, des espoirs
et des craintes. Quand bien même il s'endort, son sommeil est troublé
par les imprégnations inconscientes de son esprit, qui s'expriment dans
des rêves tout autant emplis de soucis que l'état de veille. Le matin,
dès qu'il s'éveille, le voici aussitôt habité par les
préoccupations de la journée à venir.
Les conditions extérieures sont insuffisantes pour assurer le bonheur intérieur.
Dissiper la souffrance de l'esprit est en fait beaucoup plus important qu'éliminer
les causes apparentes de souffrance extérieure. Mais nous nous trompons
d'objectif : croyant atteindre le bonheur, nous sommes perpétuellement
lancés dans la réorganisation du monde qui nous entoure. En vain.
Les biens matériels, les objets extérieurs, loin d'être capables
de nous débarrasser de la souffrance intérieure, sont le plus souvent
des causes qui la suscitent encore davantage.
Le vrai moyen de se libérer de la souffrance intérieure est la méditation
du mahamoudra par laquelle l'état naturel et authentique de l’esprit
est découvert. Deux étapes sont nécessaires : la pacification
mentale (chine) et la vision supérieure (1haktong).
Notre esprit est en général, occupé par une production incessante
de pensées, semblable à de l'eau en train de bouillir. Méditer
pour apaiser ce bouillonnement et demeurer dans un état stable, sans tensions,
est ce qu'on appelle la pacification mentale. Quant à la vision supérieure,
elle engage le processus de reconnaissance de la nature de l'esprit.
Pacification mentale ou vision supérieure, il est de toute façon
primordial de savoir tout d’abord placer son esprit: détendu, ouvert,
sans surimpression mentale. Supposons qu'une personne s'apprête à
regarder un spectacle quelconque et qu'elle se tienne debout, un lourd fardeau
sur les épaules. Elle voit bien le spectacle, mais la charge sur le dos
est une gène trop grande pour lui permettre d'être pleinement à
ce qu'elle voit. Une autre personne, en revanche, déposera son fardeau,
s'installera confortablement dans un fauteuil et jouira sans difficulté
du spectacle qui l'intéresse. Les deux spectateurs ont en commun la possibilité
de voir le spectacle. Mais dans le premier cas, l'esprit de la personne est soumis
à deux sollicitations contradictoires : le spectacle d'une part, la gêne
de la charge sur le dos d'autre part. Lorsque nous-mêmes voulons méditer,
si nous gardons l'esprit contracté et ne l'établissons pas dans
un état de détente spacieuse, nous sommes tirés en deux sens
opposés : la tension et les soucis d'un côté, l'objet de méditation
de l'autre. Le second spectateur ayant, quant à lui, déposé
son fardeau et l'inconfort qu'il entraînait, est pleinement disponible pour
le spectacle. Abordant la méditation avec un esprit détendu et ouvert,
nous pouvons de même, nous consacrer pleinement et sans difficulté
à l'objet de méditation, notre esprit étant occupé
par une sollicitation unique.
La pierre angulaire de toute méditation est de savoir placer ainsi son
esprit. Il est dit dans un manuel : Détente bonne : méditation bonne
Détente moyenne méditation moyenne Détente mauvaise méditation
mauvaise.
Quel degré de détente sera la juste mesure ? Il est vrai qu'une
détente exagérée incline l'esprit à la distraction
et à la dispersion. Sans tomber dans cet excès, on s'exerce à
trouver le seuil de détente maximum. Abandonner toute vigilance signifierait
sombrer dans la confusion ; on garde donc la vigilance mais avec la moindre tension
possible.
Certaines personnes, lorsqu'elles méditent, s'efforcent de bloquer toutes
les pensées, luttant pour que rien d'autre n'occupe leur esprit que l'objet
de concentration. D'autres s'établissent dans une sorte d'absence de conscience,
une profonde obscurité inintelligente. Ce sont deux attitudes contraires
à la méditation.
La pacification mentale implique autant de lucidité qu'il est possible,
alliée à un profond sentiment de liberté. Lorsqu'au cours
du jour nous contemplons la mer, au travers de l'eau claire nous voyons les pierres
et les algues du fond. Notre méditation doit posséder cette même
qualité claire qui permet d'être pleinement conscient de la situation.
La nuit, par contre, la surface des flots est une masse sombre et opaque qui ne
laisse pas pénétrer le regard, tout comme un esprit épais
et enténébré, malgré une apparence de stabilité,
empêche en fait la méditation.
DISTINCTION ENTRE CHINE ET LHAKTONG
La pacification mentale calme et stabilise l'esprit, mais la vraie nature de celui-ci
n'est pas reconnue. Nous ne comprenons pas ce qu'il est, et les questions fondamentales
restent sans réponse, si ce n'est à titre d'hypothèse intellectuelle.
La vision supérieure va plus loin : l'esprit étant apaisé,
elle reconnaît son essence même, sans laisser place à l'incertitude.
Elle conduit à une expérience directe et évidente. Puisque
c'est un degré de compréhension supérieure au simple calme
de l'esprit, on l'appelle vision supérieure.
La pacification mentale, autant que la vision supérieure, ont pour objet
l'esprit. Ce qui est vu, l'esprit, est identique, mais le mode de vision est différent.
La lune se reflète la nuit sur la surface d'un récipient empli d'eau.
Lorsque le récipient est agité, on ne perçoit cependant pas
la forme de la lune, mais une simple luminosité confuse. Le récipient
laissé au repos, la
surface de l'eau devient graduellement calme et lisse. Cette phase correspond
à la pacification mentale par laquelle l'esprit se défait de l'agitation
des pensées. Une fois l’eau parfaitement calme, on peut y voir clairement
ce qui s'y reflète et reconnaître la forme perçue pour ce
qu'elle est effectivement. L'esprit ayant de même été apaisé
par l’exercice de la pacification mentale, la vision supérieure permet
ensuite d'en reconnaître la nature.
PRATIQUE DE LHAKTONG
Prenons tout d'abord la posture corporelle correcte, sans tension, puis posons
notre esprit dans un état de chiné ouvert et détendu. Nous
goûtons ainsi une expérience de calme mêlée d'un sentiment
de bonheur. Cherchons dès lors où réside cet esprit calme.
Est-il dans notre tête, dans un endroit déterminé de notre
corps, ou bien dans tout notre corps ? Dans notre coeur ? Dans notre cerveau ?
Quelle est l'essence de cet esprit calme ? Où demeure-t-il ? Examinons
cela très attentivement.
(méditation)
Un tel examen nous conduit, par le caractère infructueux de l'investigation,
à découvrir par expérience la non-localisation de l'esprit
calme. Où que nous le cherchions, il n'est nulle part. Laissons maintenant
l'examen et reprenons chiné comme précédemment.
(méditation)
L'investigation ne nous a pas permis de découvrir l'esprit où que
ce soit. Laissant cependant à nouveau notre esprit au repos, nous avons
bel et bien le sentiment qu'existe un esprit au repos ; une sensation de bonheur,
de calme, de quelque chose qui existe ; un sentiment d'être.
Lorsque nous ne procédons pas à un examen, nous éprouvons
l'existence de cet esprit calme. Lorsque nous regardons ensuite l'essence même
de ce calme, nous ne pouvons aucunement dire : « c'est ceci » ou «
c'est cela ». Nous sommes conduits à une totale incapacité
à décrire quoi que ce soit parce que incapables de trouver quelque
chose que nous appellerions l'esprit calme. Si nous concluions cependant que l'esprit
calme n'existe pas du tout, nous serions en contradiction avec ce sentiment d'être
que nous éprouvons en laissant notre esprit au repos. Nous sommes amenés
à la découverte d'un état d'être indicible ; le reconnaître
et en faire directement l'expérience est ce qu'on appelle 1haktong, la
vision supérieure (1).
Cette reconnaissance n'est maintenant possible que par l'alternance du repos et
de l'examen. Lorsqu'est atteint un certain degré de méditation,
ces deux états ne sont toutefois plus dissociés et l'exercice de
l’alternance devient superflu. Parvenir à cette indissociation de
l'esprit calme et de l'esprit qui investigue est la vision supérieure au
plein sens du terme. Néanmoins, procéder par alternance en est déjà
une première approche.
Nous pouvons maintenant tous voir l'escalier éclairé par la lampe.
Regardons-le bien, puis faisons naître en notre esprit la pensée
de l'escalier, c'est-à-dire son image.
(méditation)
La pensée de l'escalier est maintenant présente dans notre esprit.
D'où est-elle apparue ? De quel endroit est-elle venue ? Quelle est sa
source ?
(méditation)
Examinant l'origine de cette pensée, nous ne pouvons dire qu'elle soit
venue de l'extérieur, nous ne pouvons pas non plus découvrir sa
source à l’intérieur de notre organisme physique. La pensée
de l'escalier ne s'est nullement introduite dans notre esprit à la manière
d'une personne qui, venant de l'extérieur, entre dans une pièce.
Elle est là sans être venue de nulle part.
(méditation)
Nous sommes impuissants à trouver quelque origine que ce soit à
cette pensée.
Lorsque, maintenant, la pensée de l'escalier est présente à
notre esprit, où demeure-t- elle ? Ici ? Là ? A l'extérieur
de notre corps, ou bien à l'intérieur ? Examinons attentivement.
Lorsqu'une personne entre dans une pièce, elle arrive de l'extérieur,
franchit le seuil puis demeure dans un endroit limité et défini,
la pièce. Pouvons-nous de même désigner un endroit limité
et défini où demeure la pensée ?
(méditation)
Quelle est la forme, non de l'image perçue mentalement, mais de la pensée
elle-même ? Quelle est sa forme, sa taille ? Pouvons-nous la voir ? Notre
investigation débouche encore une fois sur une absence.
Regardons maintenant ces fleurs attentivement.
(méditation)
La pensée de l'escalier est-elle toujours dans votre esprit dès
lors qu'il est occupé à regarder les fleurs ? Au moment où
la pensée de l'escalier a cessé, comment est-elle partie ?
Lorsque la pensée de l'escalier s'est formée dans notre esprit,
nous nous sommes demandé si c'était à la manière d'une
personne entrant dans une pièce par la porte puis y demeurant. Lorsque
la pensée de l'escalier a cessé, supplantée par la pensée
des fleurs, comment est-elle partie ? Comme on quitte une pièce pour se
rendre ailleurs ?
(méditation)
D'où est venue la pensée des fleurs ?
Regardons maintenant cette statue. La pensée des fleurs est-elle toujours
là ? Où est- elle partie ?
(méditation)
Examinant d'où venait la pensée, nous n'avons pu trouver de lieu
d'origine. Scrutant sa localisation une fois présente, nous n'avons pas
pu davantage l'appréhender, pas plus que, lorsqu'elle a cessé, nous
n'avons pu découvrir d'endroit où elle serait partie.
Les pensées ne viennent de nulle part, ne demeurent nulle part, ne vont
nulle part. Elles n'ont, en elles-mêmes, aucune existence.
LE TIGRE EN PELUCHE
Lorsque nous ne connaissons pas la nature de l'esprit, nous vivons cependant dans
la conviction que les pensées existent réellement. Etant prises
pour réelles, elles deviennent cause de souffrance. On voit des personnes
à ce point tourmentées par une pensée qu'elles cessent de
manger, deviennent maigres et pâles, les yeux creusés et sans expression.
Ces répercussions physiques illustrent bien la force des pensées
prises pour réelles.
On fabrique à l'usage des enfants, des animaux en peluche, qui parfois
ressemblent fort aux vrais. Les tigres, les lions, les léopards montrent
dans une mâchoire béante -des crocs menaçants, et fixent sur
leur proie des yeux effrayants. Un tout petit enfant peut avoir peur d'un tigre
en peluche se croyant en présence d'une menace effective. Sa méprise
est l'unique cause de sa souffrance. Là où il n'y a pas de tigre,
il croit qu'il y en a un. Inversement, le même petit enfant sera très
heureux d'un cheval en peluche, lui accordant une existence réelle, l'investissant
de la gentillesse et de la douceur d'un authentique cheval. Ne reconnaissant pas
la nature de nos pensées, nous sommes semblables à ce petit enfant
: nous prenons pour réel ce qui ne l'est pas et, de là, nous éprouvons
souffrances et joies.
Le méditant qui, par contre, réalise le maharnoudra, c'est-à-dire
reconnaît la vraie nature de son esprit, est comparable à un adulte
que ne trompera pas une imitation de tigre ou de cheval. « C'est bien fait,
pensera l'adulte ; on dirait un tigre, on dirait un cheval ». Mais il ne
se méprend pas sur la réalité de l'objet et n'est donc pas
amené à réagir comme il le ferait en présence d'un
vrai' tigre ou d'un vrai cheval. Il est libre des peurs et des joies que causerait
la situation effective. De même, pour celui qui a réalisé
le mahamoudra, les pensées, dont le caractère irréel est
démasqué, ne donnent plus lieu aux complications émotionnelles
: elles n'engendrent ni souffrances, ni joies (2).
Apparaissent dans notre esprit toutes sortes de pensées et d'images ; mais
elles n'ont pas d'existence réelle. Lhaktong reconnaît simultanément
les manifestations mentales et leur absence d'existence réelle. Il ne s'agit
nullement d'effacer la manifestation, ni de renier la faculté créatrice
de l'esprit, mais de voir son caractère dénué d'existence
propre. Un faux tigre n'en apparaît pas moins avec une forme : c'est l'aspect
manifestation. Savoir, d'autre part, qu'il n'est pas réel, correspond à
l'aspect vacuité. La vision supérieure reconnaît en même
temps la forme du tigre et son irréalité, l'union de la manifestation
et de la vacuité.
PRENDRE LE REMEDE
Il existe de nombreuses méthodes pour pratiquer lhaktong, tout comme il
existe de nombreuses méthodes de chiné. Nous avons envisagé
ici deux approches
-Analyser la nature de l'esprit calme,
- Déterminer d'où viennent les pensées, où elles demeurent,
où elles vont.
Les comprendre intellectuellement n'est pas suffisant. Il est indispensable de
les mettre en pratique par la méditation. Ne pas méditer et se contenter
de penser que ce qui vient d'être exposé est exact serait stérile.
Lorsque nous sommes malades, le médecin identifie la maladie, prescrit
les médicaments, explique les effets escomptés. Nous ne guérissons
cependant pas si nous nous contentons d'acquiescer au diagnostic, d'avoir bien
compris quels médicaments prendre, comment les prendre et ce qu'il en résultera.
Encore faut-il effectivement prendre le remède prescrit pour guérir.
Il ne suffit pas non plus de comprendre ce qu'est la méditation, il faut
méditer.
Méditer quelques jours, quelques mois, voire une année, puis abandonner,
ne portera guère de fruits non plus. Un malade doit prendre ses médicaments
jusqu'à guérison complète. S'il s'arrête en cours de
traitement, même si celui-ci dure des mois ou des années, le mal
reprendra le dessus. Il nous faut de même, poursuivre notre méditation
jusqu'à ce que nous ayons atteint une réalisation effective et stable.
Régularité et persévérance sont deux conditions nécessaires
pour une méditation profitable.
MESSAGE AUX PROVENÇAUX
Voici plusieurs années résidait à Aix-en-Provence un vieux
lama, nommé Lama Guélèk (3). Dans le coeur des disciples
fortunés il sema la graine de la dévotion. Les instructions que
je vous ai données ces jours-ci sont l'eau et l'engrais que je verse sur
cette graine. J'ai le grand espoir que d'ici quelques années, la plante
portera de beaux fruits : expériences et réalisations authentiques.
Si vous pouvez manger ces fruits, en goûter la saveur et le suc, ce sera
un bien Immense tant pour vous-mêmes que pour autrui.
Un journaliste m'a demandé hier si la Provence occupait une place privilégiée
dans le développement du bouddhisme tibétain en France. J'ai répondu
que le ciel de Provence était plus beau que partout ailleurs en France
; quant au dharma, il est présent en Provence tout comme il est présent
dans de nombreuses autres régions de France, mais n'occupe pas de place
prééminente. Il revient à l’avenir de lui accorder
ce rôle privilégié : à la beauté particulière
du ciel devrait répondre un développement particulier de la méditation.
C'est du moins mon espoir.
QUESTIONS-REPONSES
Question : D'où viennent les émotions conflictuelles ?
Réponse : Depuis des temps sans commencement, notre esprit est sous l'emprise
de l'égo. De plus, au cours de la succession de nos vies se sont formées
dans notre esprit des imprégnations inconscientes qui conditionnent maintenant
notre perception du monde et nos réactions émotionnelles à
la situation. La colère, le désir, etc., font partie de ces imprégnations.
De là viennent les émotions conflictuelles.
Lorsque de telles émotions s'élèvent en force dans notre
esprit, le remède n'est pas de les refouler. Reconnaissant la présence
et la force de l'émotion, il est sans doute préférable de
dire : « bienvenue, bienvenue, entre donc ! ». Peut-être l'émotion
se dérobera-t-elle à notre invitation !
Le caractère contraignant d'une pensée ou d'une émotion vient
de ce que nous nous y assimilons. Si au contraire nous la laissons sans propriétaire,
sans occupant, elle cesse d'être nuisible. Les pensées sont comme
des voitures sur une route. Lorsqu'un accident se produit, si nous ne sommes pas
dans la voiture, nous sommes indemnes !
Question : Que faire, face à la difficulté de visualiser ?
Réponse : Visualiser est effectivement difficile lorsqu'on débute.
La prise de Refuge, la pratique de Dordjé Sèmpa, le gourou-yoga
et notre propre persévérance sont des moyens qui effacent graduellement
la difficulté.
Dans notre esprit s'élèvent de nombreuses pensées liées
à des émotions conflictuelles, colère et autres. Quand bien
même, nous avons compris qu'elles n'ont pas d'essence propre, qu'elles n'existent
pas réellement, qu'elles sont nuisibles, elles apparaissent indépendamment
de notre volonté. C'est pourquoi il est nécessaire de purifier notre
esprit des fautes et des voiles qui l'affectent par la pratique de Dordjé
Sèmpa et d'unir notre esprit à l'Esprit de notre maître.
Question : Comment prier le lama ?
Réponse : Visualisant le lama, nous pensons qu'il est véritablement
présent et nous nous confions à sa protection. Nous lui demandons
que soient écartées nos souffrances et dissipés les voiles
qui enténébrent notre esprit, que notre esprit trouve la paix et
le bonheur. Si nous connaissons la prière du Refuge nous pouvons alors
l'utiliser, sinon nous pouvons aussi prier avec nos propres mots.
Question : Comment faire la différence entre ce qui vient de 1 'égo
et ce qui vient de notre nature pure ?
Réponse : Notre esprit est à la fois connaissance et ignorance.
Les pensées en mode dualiste en général viennent de l'aspect
ignorance ; la conscience primordiale non-duelle est l'expression de la connaissance.
Néanmoins, la foi, la compassion, etc., sont aussi des expressions de la
connaissance.
Question : Que faut-il faire face à un problème résurgent
?
Réponse : La résurgence du problème est due au karma, à
certains voiles et certaines fautes qui obscurcissent l'esprit. Le remède
est donc de se purifier par la pratique de Dordjé Sèmpa, de chiné,
de lhaktong, par la dévotion au lama, la prise de Refuge, la compassion
pour les êtres. Une fois le mauvais karma dissipé, le problème
ne pourra plus se présenter, sa cause ayant disparu.
Notre esprit est pris dans les noeuds de l'égo, des émotions conflictuelles
et de la souffrance. Prier le lama, pratiquer la méditation de Dordjé
Sèmpa, unir son esprit à l'Esprit du lama permettent de desserrer
cette étreinte et de recouvrer un état de détente et d'aise.
Cela même confortera grandement notre confiance dans le dharma et fera naître
spontanément la compassion envers ceux qui, dépourvus de dharma,
ne connaissent pas la nature de leur esprit.
Question : Comment situer la méditation de Tchènrézi par
rapport à chiné et lhaktong ?
Réponse : La méditation de Tchènrézi inclut à
la fois chiné et lhaktong. Lorsque, tout d'abord, nous visualisons Tchènrézi
au-dessus de notre tête, que nous imaginons son visage, ses bras, ses ornements,
etc., et que nous posons notre esprit sans distraction sur cette apparence, c'est
chiné. Lorsque nous comprenons simultanément que cette forme de
Tchènrézi est immatérielle, qu'elle n'existe pas en tant
que chose, qu'elle est semblable à un miroir, bien qu'en même temps
elle ne soit pas inerte, mais connaissance, amour et puissance, c'est lhaktong.
Une bonne méditation de Tchènrézi comprend chiné et
lhaktong.
(1) De prime abord et pour une personne non-avertie, la méthode qui vient
d'être exposée et les conclusions auxquelles elle aboutit peuvent
sembler tout à fait simplistes et prendre bien des détours pour
arriver à des truismes. Que nous en soyons conscients ou non, l'expérience
que nous avons de notre esprit est pourtant extrêmement localisée
et chosifiée. Le cheminement expliqué ici, lorsqu'il est suivi sans
à priori, avec persévérance et en se référant
aux explications d'un instructeur qualifié, a pour but de dissoudre progressivement
la cristallisation illusoire dans laquelle nous sommes figés. Le même
avertissement est valable pour le second exercice, expliqué dans les pages
suivantes.
(2) Cela ne signifie nullement que l'esprit demeure dès lors dans une sorte
d'indifférence permanente, ennuyeuse et terne. L'esprit goûte, au
contraire, sa propre félicité, sans commune mesure avec les joies
ordinaires, à tel point qu'elle est dite au-delà des concepts de
joie et de non-joie. L'esprit d'un être libéré est non seulement
au-delà de la souffrance, il est par nature et de manière inaltérable,
paix, lucidité, intelligence, bonheur, amour et pouvoir, infiniment plus
vivant que nous le sommes.
(3) Lama Guélèk résida à Aix-en-Provence de 1977 à
1980, où Kalou Rimpotché lui avait confié la charge du centre
tibétain, situé alors rue de la Fourane. Jeune moine, il fut remarqué
par son maître, Sangyé Tulkou, qui lui transmit nombre d'enseignements
en privé, y compris la nuit, le faisant parfois venir dans sa chambre.
Il passa par la suite la majeure partie de sa vie en retraite, jusqu'à
l'exil à la fin des années cinquante. En Inde, il rencontra Kalou
Rimpotché et fit à nouveau une retraite de trois ans dans son monastère
de Sonada, en même temps que Bokar Rimpotché. C'est aussi à
Sonada qu'il décéda, en juillet 1981, à la suite d'une maladie
foudroyante. Les signes merveilleux qui accompagnèrent sa mort confirmèrent,
si besoin était, la profonde réalisation acquise au cours de sa
vie.
Màj.
13/07/09