Désirs, passions et spiritualité. Edition JC Lattès, 1999. Page 45.


La respiration, porte de la sensorialité


Pour que la présence aux sensations, aux émotions et aux pensées atteigne la plénitude, tout commence par l'attention à la respiration. Plutôt que de se livrer d'emblée à des exercices respiratoires, les maîtres tantriques conseillent de prendre conscience de la manière dont on respire. Cette seule prise de conscience va apaiser et amplifier la respiration. Il n'y a jamais de nouveaux comportements à appliquer, car les maîtres considèrent qu'on ne peut rien développer de profond à partir de l'inconscience.
Lorsqu'on a pris conscience de sa manière de respirer, on peut laisser la respiration se mettre en place et trouver sa plénitude en induisant très progressivement une respiration complète, à condition que le processus soit fondé sur l'émergence de la conscience et non sur l'idée de " faire ", d'appliquer une technique pour obtenir un effet. Tout ce qui se " fait " dans le yoga tantrique n'est jamais pour l'obtention d'une gratification postérieure mais, au contraire, une " pratique " dont le fruit se trouve immédiatement présent dans " la pratique " elle-même. Ainsi, nous ne respirons pas pour toucher autre chose que l'harmonie profonde de la respiration.

Chaque matin, dès le réveil, encore couché, je place mon attention sur la respiration abdominale et le bassin. Dans une parfaite détente, les mains sur les seins, les doigts sur le sternum, les jambes ouvertes, je ressens la détente des muscles abdominaux par une inspiration douce et paisible lors de laquelle je gonfle le ventre en lâchant le sacrum vers l'arrière et en cambrant les reins pour accompagner l'inspire.
Après une légère pause, j'expire en rentrant les muscles du ventre et en poussant le sacrum vers l'avant comme si je faisais l'amour à une déesse ou a un dieu.
Peu à peu, je prends conscience des effets de cette respiration sur le diaphragme, qui ondule comme une méduse dans les eaux tièdes de l'Océan.

Après quelques semaines de cette attention à la respiration qui se développe en respiration consciente, je reprends régulièrement conscience de cette respiration et je lui permets de s'épanouir lorsque je sors de chez moi, lorsque je marche dans la rue, lorsque j'arrive sur mon lieu de travail, lorsqu'une pause naturelle intervient entre deux moments de concentration.

Je profite des déplacements pour faire quelques pas en " sentant " profondément ma respiration.

Avant un rendez-vous important, je me " place " dans la respiration abdominale. Pendant ce rendez-vous, je reviens régulièrement à ma respiration, je laisse mon bassin se détendre, je relâche profondément mes muscles.

Lorsque je fais une pause pour le déjeuner, je me remets dans la conscience de la respiration.

Il est beaucoup plus important de prendre conscience de la respiration plusieurs fois par jour que de tenter de " pratiquer " trop long-temps. Toutes les " micro-pratiques " du yoga tantrique (1) se font pendant cinq, dix ou trente secondes suivies d'un retour conscient à la manière habituelle de vivre ou de faire les choses. Ce retrait est très important, car il permet de ne pas se perdre dans l'activité automatique alors qu'on croit pratiquer.

Au début, j'essaie d'être présent à ma respiration de dix à vingt fois par jour. Peu à peu, à mesure que cette attention m'apporte du plaisir, je laisse augmenter le nombre de prises de conscience de la respiration jusqu'à cent fois par jour et plus.

Le plaisir est un élément capital de la pratique tantrique car dès que nous trouvons du plaisir à la présence, nous avons une tendance naturelle à y revenir. Ce n'est plus alors une pratique mais une manière de goûter plus pleinement à la vie, à la sensorialité et c'est la base de toutes les pratiques ultérieures.

Les effets d'une respiration consciente ou partiellement consciente sont extraordinaires :
- réduction du stress
- développement de la sensibilité sensorielle
- sommeil plus régulier
- équilibre général du corps
- flux régulier du sang et du liquide lymphatique
- calme, équilibre
- amélioration des capacités mentales
- micro-repos distillés sur l'ensemble de la journée
- amélioration de la concentration
- précision des mouvements physiques
- sensation de plénitude et de joie

Dès que la respiration consciente remplacera la respiration automatique, vous ressentirez un total changement dans votre manière d'appréhender le monde. Les craintes, les angoisses liées aux rapports avec les autres s'estomperont et vous aurez la sensation profonde d'être relié au sol, cette impression qu'on appelle " avoir les pieds sur terre "

Le succès de toutes les pratiques suivantes, qui touchent à la pleine conscience des sensations, dépend uniquement de la capacité à respirer en conscience. C'est tellement important que certains maîtres tantriques limitent leur enseignement à la pratique de la respiration. Le Bouddha lui-même, dans le Anapanasati sûtra, fonde son enseignement sur la pratique de la pleine conscience de la respiration :
" La pratique de la pleine conscience de la respiration, développée et pratiquée en continuité, conduit à l'accomplissement parfait (2). " Le grand maître Zen du dix-septième siècle, Man-An, écrivait, dans son " Discours Fondamental sur le Zen " : " Lorsque vous expirez, sachez que vous expirez. Lorsque vous inspirez, sachez que vous inspirez. Centrez votre conscience sur votre respiration, sans la laisser monter ou descendre, sortir ou rentrer, sans vous livrer à la pensée discursive, sans faire d'interprétation intellectuelle ou émotionnelle, sans chercher à comprendre quoi que ce soit, en étant simplement attentif au souffle qui sort et qui entre, sans manquer une seule respiration (3). "


1. Voir Tantra Yoga, le tantra de la connaissance suprême, Daniel Odier, Spiritualités vivantes, Albin Michel, 1998.

2. Voir la traduction et le commentaire de ce sutrâ par Thich Nhat Hanh, Spiritualités Vieantes, Albin Michel, 1996.
3. Thomas Cleary, Les secrets de la méditation, Sept textes essentiels des maîtres historiques du Chan et du Zen, trad. Daniel Odier, coll. Voyageurs Immobiles, Jc Lattès, 1998.