Rencontres avec un éveillé contestataire
UG Krishnamurti
On me dit « illuminé ». Je déteste ce terme. Les gens
ne peuvent en trouver un autre pour décrire mon mode de fonctionnement.
Je précise dès maintenant qu'il n'existe absolument rien de tel
que l'illumination. Je peux le dire puisque toute ma vie j'ai cherché
à devenir un homme illuminé et j'ai découvert que l'illumination
n'existe pas. Ainsi donc la question de savoir si une personne particulière
est illuminée ou non ne se pose pas... Je ne vais pas pousser de hauts
cris pour un Bouddha du Vlè siècle av. J.C., sans parler de tous
les autres prétendants que nous avons parmi nous. C'est un ramassis d'exploiteurs
qui prospèrent grâce à la naïveté des gens.
Il n'existe aucun pouvoir hors de l'homme. L'homme a créé Dieu
sous l'impulsion de la Peur. Il s'ensuit que le problème, c'est la Peur,
ce n'est pas Dieu.
J'ai découvert par moi-même et pour moi-même qu'il n'y a
pas de soi à réalise r: c'est de cette «réalisation»
là que je parle. Ça vient comme un coup de foudre. Vous avez tout
«investi» dans le même panier et vous découvrez soudain
qu'il n'y a pas de soi à découvrir, pas de soi à réaliser
et vous vous dites : Que diable ai-je fait toute ma vie ! Ça vous démolit.
Toutes sortes de choses me sont arrivées et voyez-vous j'ai dû
traverser tout ça ! La douleur physique était insupportable. C'est
bien pour ça que je vous dis que vous ne pouvez souhaiter cela. Je voudrais
pouvoir vous en donner un aperçu, vous le faire toucher et vous n'auriez
alors aucun désir de passer par là. Ce que vous poursuivez n'existe
pas. C'est un mythe. Vous ne sauriez vouloir avoir affaire à cela...
Entretien
U.G.: Je prétends, voyez-vous, que les mots que vous employez, qu'il
s'agisse d'illumination, de liberté, de moksha ou de libération,
tous ces mots là sont chargés, ils ont leur connotation propre.
La chose elle-même ne peut survenir au moyen d'un effort de votre part.
Elle arrive, tout simplement. Et pourquoi elle arrive à tel individu
plutôt qu'à tel autre, je ne le sais pas...
Q: C'est ainsi que cela vous est arrivé ?
U.G.: Ça m'est arrivé.
Q: Quand, Monsieur ?
U.G.: Dans ma quarante-neuvième année... Mais quoique vous fassiez
en direction de votre recherche, poursuite ou quête de la Vérité
ou de la Réalité vous arrache à votre état naturel,
cet état qui est toujours le vôtre. Ce n'est pas une chose que
vous pouvez acquérir, obtenir, accomplir comme un résultat de
votre effort et c'est pourquoi j'emploie le mot « a-causal ». Ça
n'a pas de cause, mais d'une manière ou d'une autre la recherche prend
fin...
Q: Et vous pensez, Monsieur, que ce n'estpas le résultat de la recherche
? Je vous le demande parce que j'ai entendu dire que vous aviez étudié
la philosophie, que vous étiez en contact avec des gens religieux...
U.G.: La recherche, voyez-vous, vous éloigne de vous-même. Elle
est dans une direction opposée. I1 n'y a aucun rapport entre les deux.
Q: C'est donc arrivé en dépit de et pas à cause de...
U.G.: En dépit de, oui, c'est le mot. Tout ce que vous faites rend impossible
ce qui est déjà là, prêt à s'exprimer. C'est
cela même que je qualifie d'«état naturel». Vous êtes
toujours dans cet état. Ce qui l'empêche de s'exprimer, c'est la
recherche. La recherche est toujours dans la mauvaise direction et donc tout
ce que vous considérez comme sacré intervient comme une contamination
dans votre conscience. Peut-être n'aimez-vous le mot «contamination»
(Rire) mais tout ce que vous considérez comme sacré, saint et
profond est une contamination.
C'est ainsi qu'il n'y a rien que vous puissiez faire. Le remède n'est
pas à votre portée. Je n'aime pas me servir du mot «grâce»
parce qu'alors la question se pose : la grâce de qui ? Vous n'êtes
pas un individu spécialement choisi. Vous méritez cela, je ne
sais pas pourquoi...
Si cela m'était possible, je serais disposé à aider quelqu'un
mais c'est là quelque chose que je ne peux pas donner. Pourquoi d'ailleurs
le donnerais-je ? C'est ridicule de demander ce que l'on possède déjà
!
Q: Mais moi je ne sens pas comme vous que je le possède.
U.G.: Ce n'est pas la question de sentir. Ce n'est pas la question de savoir.
Vous ne saurez jamais. Vous n'avez absolument aucun moyen de savoir cela par
vous-même. Cela s'exprime spontanément. Il n'y a rien de conscient...
Q: En a-t-il été ainsi dès l'origine, à partir du
moment où vous avez pris conscience de vous-même ?
U.G.: Non, je ne peux pas dire cela. J'étais en quête de quelque
chose, comme tous ceux qui sont élevés dans une atmosphère
religieuse. C'est dire que la réponse à votre question n'est pas
facile. Il me faudrait préciser tout l'arrière plan (Background)
(1) j'en viendrai peut-être là, je ne sais pas (Rire).
Q: Par pure curiosité cela m'intéresserait beaucoup de savoir
comment ces choses vous sont arrivées à vous personnellement avec
une telle intensité de conscience ?
U.G.: Vous savez, c'est une longue histoire. Et ce n'est pas si simple.
Q: Nous aimerions l'entendre.
U.G.: J'aurai à vous raconter toute ma vie. Ça me prendra beaucoup
de temps. L'histoire de ma vie se déroule jusqu'à un certain point
et puis s'arrête court: Il n'y a plus de biographie... Les deux biographes
qui se sont intéressés à ma biographie ont deux points
de vue différents. Pour l'un, ce qui m'a conduit là ce sont mes
activités : sadhana (2), éducation, tout l'arrière-plan.
Et moi je dis que c'est en dépit de tout cela (Rire). L'autre biographe
ne se soucie pas de mon commentaire parce que cela ne fournit pas matière
à un gros volume (Rire) et c'est cela qui l'intéresse. Les éditeurs
aussi s'intéressent à ce genre de chose. C'est bien naturel puisqu'on
travaille là dans un domaine où intervient la relation de cause
à effet. On s'attache alors à découvrir la cause: comment
est arrivé ce genre de chose. Et nous en revenons à notre point
de départ : la case n°1. Nous sommes concernés par le «comment».
Mon arrière-plan est sans valeur. Il ne peut offrir un modèle
car l'arrière-plan de chacun est unique. Chaque événement
de votre vie est unique à sa manière. Nos conditions d'existence,
notre environnement, tout cet ensemble est différent...
Q: Je ne suis pas en quête d'un modèle à offrir au monde.
Ce n 'est pas de ce point de vue que je vous interroge... Et il ne s'agit pas
de vous imiter mais cela peut, qui sait ? nous concerner... Je ne veux pas partir
avant d'apprendre de vous la vérité.
U.G.: Il vous faudrait un YAMA (3) pour répondre à vos questions
!
Q: Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, soyez YAMA.
U.G.: Je n'y vois pas d'inconvénient. Mais il faut m'aider. Vous voyez
: je suis dans l'embarras... Je ne sais par où commencer. Par où
finir, ça, je sais (Rire) je vais donc devoir vous raconter l'histoire
de ma vie.
Q: Nous l'écouterons volontiers.
U.G.: Ça ne vient pas...
Q: Il y faudrait l'inspiration.
U.G.: Je ne l'ai pas. Et je suis bien la dernière personne capable d'inspirer
quiconque. Je vais devoir vous dire, afin de satisfaire votre curiosité,
l'aspect minable de ma vie.
J'ai été élevé dans une atmosphère très
religieuse. Mon grand-père était un homme très cultivé.
Il connaissait Blavatsky, la fondatrice de la Société théosophique,
Alcott et ultérieurement la seconde et la troisième génération
de théosophes.
Mon grand-père était un grand juriste, un homme très riche,
un homme vraiment cultivé et curieusement très orthodoxe - une
sorte d'enfant métis : orthodoxie, tradition d'une part et d'autre part
l'opposé: théosophie, etc. Il n'a pas réussi à trouver
l'équilibre : ce fut là le début de mon problème...
Des savants figuraient sur les feuilles de paie de mon grand-père et
il s'attachait à créer pour moi une atmosphère intense
et à m'élever rigoureusement sous l'inspiration des théosophes
et consorts. Tous les matins ces types-là venaient lire les Upanishads,
Panchadasi, Nishkarmya Siddhi avec commentaires sur commentaires, cela de 4
à 6 heures et ce petit bonhomme de 5, 6 ou 7 ans, je ne sais plus, était
forcé d'écouter ces conneries. Tant et si bien qu'à sept
ans je pouvais réciter nombre de passages de ces textes. Des foules de
«saints» visitaient la maison, entre autres ceux de l'Ordre de Ramakrishna.
C'était une maison ouverte à tout saint homme. C'est ainsi que
tout jeune, j'eus l'occasion de découvrir qu'ils étaient tous
des hypocrites. Ils disaient certaines choses, ils y croyaient et leurs vies
étaient superficielles - Un néant... Voilà ce qui est au
départ de ma recherche.
Mon grand-père avait l'habitude de méditer (Il est mort et je
ne veux rien dire de mal à son sujet). Il méditait deux ou trois
heures dans une salle de méditation privée. Un jour un bébé
d'un an et demi à deux ans se mit à crier pour quelque raison.
Et ce type-là descendit et se mit à battre l'enfant qui en devint
presque bleu ! Cet homme-là qui méditait tous les jours !.. Voyez-vous
ça ! Qu'avait-il fait là ! Je n'aime pas employer un terme psychologique
mais on ne peut l'éviter: c'est une expérience traumatisante.
Il doit y avoir quelque chose de drôle dans tout ce business de méditation.
La vie de ces gens-là est superficielle et vide. Ils parlent à
merveille. Ils s'expriment dans un beau style mais qu'en est-il de leur vie
? Qu'y a-t-il chez eux qui ne tourne pas rond ? (Mais je n'entends pas m'ériger
en juge !).
Et tout cela allait bon train mais j'étais impliqué dans tous
ces trucs... Y a-t-il vraiment quelque chose dans ce qu'ils professent: le Bouddha,
Jésus, les grands maîtres... Tout le monde parle de moksha, de
libération, de liberté. Qu'en est-il ? Je veux le savoir par mes
propres moyens. Ce sont là des types inutiles mais il doit bien y avoir
de par le monde une personne qui soit l'incarnation, l'apôtre de tout
cela. S'il en existe une, je veux la découvrir.
Bien des choses arrivèrent par la suite. Il y avait alors un homme qui
se nommait Sivananda Sarasvati, un évangéliste de l'hindouisme.
Entre 14 et 21 ans (je saute ici d'insignifiants événements) j'allais
très souvent le voir et j'accomplissais tout, toutes les «austérités».
J'étais bien jeune mais bien décidé à découvrir
s'il existait quelque chose comme «moksha» et je voulais la posséder
cette «moksha». Je voulais me prouver à moi-même et
à tout le monde qu'il ne pouvait y avoir d'hypocrisie chez ces gens là
(ce sont tous des hypocrites !) Alors j'ai pratiqué le yoga, j'ai pratiqué
la méditation. J'ai tout étudié. J'ai eu toutes les expériences
dont parlaient les livres: samadhi, super-samadhi, nirvikalpa samadhi... La
pensée peut créer n'importe quelle expérience désirée
par vous: bonheur, béatitude, extase dissolution dans le néant
toutes ces expériences-là. Ce n'est donc pas ce que je cherche
puisque je suis toujours la même personne accomplissant mécaniquement
tout cela. Les méditations sont pour moi sans valeur. Elles ne me mènent
à rien.
C'est alors, voyez-vous, que la sexualité devint un formidable problème
pour le jeune homme que j'étais. Voilà quelque chose de naturel,
un fait biologique, une impulsion du corps humain. Pourquoi donc s'obstinent-ils
à refuser le sexe, supprimant ainsi quelque chose de naturel, quelque
chose qui fait partie de la totalité pour acquérir quelque chose
d'autre. C'est pour moi plus réel, plus important que moksha, que la
libération... La réalité la voici: je pense aux dieux et
aux déesses et j'ai... des rêves mouillés ! oui, c'est cela
qui m'arrive. Et pourquoi me sentirais-je coupable ? Je n'ai aucun contrôle
sur ce qui m'arrive ainsi. La méditation ne m'a pas aidé, l'étude
ne m'a pas aidé, mes disciplines ne m'ont pas aidé. Je ne touche
pas au sel, je ne touche jamais aux piments et aux épices. Et voilà
qu'un jour je trouve ce type - Sivananda - en train de manger derrière
les portes closes des mangues en saumure ! Voilà donc un homme qui s'est
tout refusé dans l'espoir d'obtenir quelque chose mais cet homme-là
ne se contrôle pas lui-même. C'est un hypocrite (je ne veux pas
dire du mal de lui). Ce genre de vie ne me convient pas.
Q: De 14 à 21 ans (1932-1939), vous avez ressenti, dites-vous, une puissante
impuision sexuelle. Vous êtes-vous marié ?
U.G.: Non; je n'étais pas pressé... Je voulais expérimenter
l'impulsion sexuelle; «Si tu laisses aller, me disais-je, qu'arrivera-t-il
?» Je voulais comprendre la totalité de cette affaire: «Pourquoi
est-ce que je me permets ces auto-érotismes ? Je ne sais rien de la sexualité.
Pourquoi alors suis-je obsédé par ces images sexuelles ?»
Telle était ma recherche: Telle était ma «méditation».
Rien à voir avec la posture de lotus, la posture debout sur la tête...
«Comment suis-je en mesure d'évoquer de telles images ?»
Je n'allais jamais voir un film ou encore regarder tous ces posters qu'op voit
maintenant: «comment cela se produit-il ? C'est une impulsion non suggérée
de l'extérieur. La poussée extérieure est stimulatrice,
soit. Mais il y a une stimulation toute intérieure et c'est ce qui est
important pour moi. Je peux efficacement couper court à la stimulation
extérieure mais comment traiter de même celle de l'intérieur
?» C'est là le problème que je voulais résoudre.
Je me demandais également à quoi pouvait ressembler cette expérience.
Sans avoir eu de rapports sexuels, il me semblait avoir quelque idée
de leur nature. Je ne me sentais pas pour autant impatient d'avoir des relations
sexuelles avec une femme: je laissais les choses aller à leur rythme.
En ce temps-là d'ailleurs, je ne voulais pas me marier. Je projetais
de devenir un ascète, un moine avec tout ce que cela comporte. Mais au
fil du temps, j'en vins à me dire: «Si tu tiens à satisfaire
ta sexualité, pourquoi ne pas te marier ? C'est la raison d'être
de la société. Pourquoi aller à la recherche d'une femme
quelconque puisque tu peux trouver dans le mariage, tout naturellement, la satisfaction
du besoin sexuel ?»
A vingt et un ans, j'en étais arrivé à sentir intensément
que tous les instructeurs - Bouddha, Jésus, Shri Ramakrishna compris
- se mettaient dedans, se berçaient d'illusions et dupaient tout le monde.
Cela, voyez-vous, ne pouvait pas être la vérité. «Quel
est donc, me disais-je, cet état dont parlent tous ces gens-là,
cet état qu'ils décrivent ? Cette description-là est sans
rapport avec moi, sans rapport avec la manière dont je fonctionne. Tout
le monde, par exemple, vous dit: «Ne cède pas à la colère».
Or la colère m'habite en permanence. Je suis intérieurement plein
d'une brutalité foncière. Ce que ces gens prétendent que
je devrais être est quelque chose de faux et donc susceptible de me «falsifier».
Je ne veux pas vivre la vie d'un personnage faux. Je suis avide alors qu'ils
parlent de la non-avidité. L'avidité, c'est quelque chose de naturel,
quelque chose qui est naturel en moi et ce dont ils parlent n'est pas naturel.
Il y a donc là quelque chose qui ne tourne pas rond. Mais je ne suis
pas disposé à me transformer moi-même pour réaliser
un état de «non-avidité». Mon avidité est pour
moi une réalité: je vivais dans un milieu où on parlait
de tout cela à longueur de journée et je peux vous assurer que
tous ces gens-là étaient faux. C'est ainsi que d'une manière
ou d'une autre ce qu'on appelle la nausée existentialiste (je n'employais
pas ces termes à cette époque mais il se trouve qu'aujourd'hui
je les connais) l'éc¦urement à l'égard de tout le
sacré, de toute la sainteté me conduisit à un rejet global
de tout cela. Plus de slokas, plus de religion, plus de pratiques. Ce qui est
en moi est quelque chose de naturel. Je SUIS une brute, je suis un monstre,
je suis la violence même: c'est cela la réalité. Tout cela
n'a pour moi aucun sens, tout cela est faux et me «falsifie». J'en
ai fini, me dis-je, avec tout ce business. » Mais voilà, ce n'est
pas si simple...
Vint alors quelqu'un avec qui j'ai pu discuter. Il me considéra comme
un individu pratiquement athée (mais pas un athée pratiquant !)
comme un sceptique à tous égards, hérétique des
pieds à la tête... «I1 y a, me dit-il, chez nous, quelque
part dans la région de Madras, à Tiruvahnamalai, un nommé
Ramana Maharshi. Allons voir cet homme-là. C'est l'incarnation vivante
de la tradition hindoue». Je n'avais nulle envie d'aller voir un saint.
Quand on en voit un, on les a tous vus. Je n'ai jamais fait de lèche-vitrine
ni de porte-à-porte; je ne me suis jamais assis aux pieds des mâîtres
dans l'espoir d'apprendre (4). Ils vous disent tous: «Pratiquez assidûment
et vous obtiendrez la réalisation». Ce que j'ai obtenu, c'est de
répéter inlassablement les expériences. Cette régularité
implique la permanence. Or la permanence ne peut exister. Tous ces «saints»
sont des imposteurs. Ils se bornent à ressasser ce qu'il y a dans les
livres et je sais lire ! Faites ce même exercice encore et encore. Ça,
je n'en veux pas... Les expériences, je n'en veux pas. L'expérience
ne m'intéresse pas. Et à cet égard il n'y a pour moi aucune
différence entre l'expérience religieuse et l'expérience
sexuelle. Je ne suis pas curieux d'expérimenter Brahman, la Réalité,
la Vérité. S'ils se sentent en mesure d'aider les autres, grand
bien leur fasse ! Ils ne peuvent pas m'aider moi... Je ne me soucie pas d'accumuler
les pratiques; ce que j'ai fait jusqu'à présent me suffit. A l'école,
quand on veut résoudre un problème de maths, on le ressasse encore
et encore et on finit par découvrir que la solution est dans le problème.
Alors pourquoi diable tenter de résoudre le problème ? Il est
plus facile de trouver d'abord la solution avant de se lancer dans un tel processus.
C'est ainsi qu'à contre-c¦ur je suis allé voir Ramana Maharshi.
Mon copain m'a entraîné. Il me disait: «Vas-y une bonne fois.
Tu verras que quelque chose t'«arrivera». Et il me donna un livre:
Search in Secret India de Paul Brunton (5). Je lus le chapitre consacré
à l'homme en question. «Bon, je n'ai rien contre, allons-y !».
Quand je me trouvai en présence de cet homme, assis devant moi, je me
dis immédiatement: «Quoi ! c'est là l'homme en question
? ce type-là qui lit des bandes dessinées, qui épluche
des légumes, qui joue avec une chose ou l'autre, comment pourrait-il
m'aider !» Quoi qu'il en soit, je restai assis là. Et... rien n'arriva.
Je le regardais, il me regardait... En sa présence, m'avait-on dit, tu
resteras silencieux... tes questions disparaîtront... son regard te transformera...»
Tout ça n'était que des balançoires ! Deux heures durant,
je restai assis là et les questions, des questions idiotes n'avaient
pas disparu... «Bon, il faut quand même que je me décide».
I1 faut dire qu'à cette époque, je désirais si intensément
moksha, cette moksha faisait partie de mon conditionnement, je la voulais !
«Vous êtes censé être un libéré»,
lui dis-je (Non, cela je ne l'ai pas dit !)... «Pouvez-vous me donner
Cela que vous avez ?». Il ne répondit pas... Après un certain
temps, je répétai cette même question. Il dit alors: «Je
peux vous le donner, mais pouvez-vous le prendre ?»...
Mince alors ! C'était bien la première fois qu'un type me disait
qu'il avait quelque chose qu'il pouvait me donner tout en me laissant entendre
que je ne pourrais pas le recevoir ! Les autres me disaient: «Fais la
sadhana, tiens-toi debout sur la tête, sur les épaules; suspends-toi
à un arbre... Renonce à tout...» Et voici que pour la première
fois, j'entends un type me dire: «Je peux vous le donner mais pouvez-vous
le prendre ?»
Alors je me dis: «S'il y a au monde un individu capable de prendre cela
c'est bien moi parce que j'ai fait la Sadhana sept ans de Sadhana !.. Libre
à lui d'estimer que je n'en suis pas capable, mais je sais que je peux.
Et si je ne peux pas, qui donc le pourra ?» Tel était donc alors
mon état d'esprit (Rire). Voyez comme j'étais sûr de moi
!
Je n'avais pas l'intention de rester auprès de lui ou de lire ses livres.
Il me fallait donc lui poser encore quelques questions: «Peut-on, lui
dis-je, être tantôt libéré, tantôt non libéré
?». «Ou bien vous êtes libre ou bien vous ne l'êtes
absolument pas» me répondit-il. Il y avait une autre question dont
je ne me souviens plus exactement et qui reçut de lui une étrange
réponse: «Il n'y a pas d'étapes sur le chemin menant à
Cela». Mais je négligeais ce genre de sujets. Ils ne me concernaient
pas.
Mais la réponse précédente !.. «Ce qu'il peut être
arrogant !» me disais-je. Et pourquoi ne pourrais-je pas recevoir cela,
quelle qu'en soit la nature ? Qu'est-ce donc qu'il a ? Telle était ma
question, une question bien naturelle. Et la question fondamentale se trouva
formulée: «Quel est donc l'état dans lequel se trouvent
tous ces gens: Bouddha, Jésus et compagnie... Ramana est dans cet état,
enfin il est censé y être... Pourtant ce type-là est comme
moi: un être humain. En quoi diffère-t-il de moi ? Ce que d'autres
disent, ce qu'il dit lui-même est pour moi sans importance. Quand à
ce qu'il fait, c'est à la portée de tout le monde... Il ne peut
guère être différent de moi. Lui aussi est né de
parents. Il a ses idées personnelles sur tout le business. Certains disent
qu'il lui est arrivé quelque chose mais en quoi diffère-t-il de
moi ? Qu'en est-il de son état ? Quel est cet état ? C'était
là la question fondamentale, la base de ma recherche et cela m'obsédait,
inlassablement... I1 faut que je découvre quel est cet état. Personne
ne peut me le donner. Je ne dispose que de mes propres ressources. Je dois naviguer
sur cette mer inexplorée sans carte, san compas, sans navire, sans même
un radeau où aborder. Je dois découvrir par moi-même ce
qu'est cet état dans lequel se trouve cet homme-là». Cela
je le voulais de toutes mes forces. Sans cette intensité, je n'aurais
pu y consacrer ma vie toute entière.
**
Q: Ce truc de donner et de prendre, je ne le comprends pas...
U.G.: Je ne peux rien vous dire sur le sens de la réponse de Ramana Maharshi,
mais d'une certaine manière, elle m'a aidé à formuler nettement
ma question. Voyez-vous si quelqu'un aujourd'hui devait me poser une question
de ce genre, je dirais qu'il n'y a rien à attendre de personne... Qui
suis-je pour vous «donner» quoique ce soit ? Vous possédez
ce que je possède. Nous sommes tous ici, 25 rue Sannidhi, et vous me
demandez: «Où est le 25 de la rue Sannidhi», et je vous dis:
«Vous y êtes !» Mais en réalité cela ne concerne
que votre désir de savoir où vous êtes: c'est votre problème,
pas le mien...
**
Alors commença ma vraie recherche. Tout un conditionnement religieux
était là, présent en moi. Je me livrai à l'exploration.
Pendant quelques années j'étudiai la psychologie, la philosophie
orientale et occidentale, le mysticisme, toutes les sciences modernes - le domaine
complet des connaissances humaines. Et la recherche allait bon train et, ce
faisant, ma question: Quel est cet état ? m'obsédait avec une
intensité particulière. Seulement voilà: «Toute cette
science ne me satisfait pas... Pourquoi lire tous ces livres ?» La psychologie
faisait partie des matières exigées pour le diplôme de maîtrise.
Je m'intéressais à la psychologie tout simplement parce que le
problème du mental me laissait perplexe. «Où donc est ce
mental ? Je veux en savoir plus long là-dessus. Ici, à l'intérieur
de moi-même je ne vois pas de mental, cependant tous ces livres en parlent...
Allons ! voyons un peu ce que les psychologues occidentaux ont à dire
à ce sujet». Et un jour, j'ai dit à mon professeur: «Nous
parlons tout le temps du mental. Nous étudions tous ces livres: Freud,
Adler et tout le bazar ! Tout cela, je le connais. J'ai lu les définitions
et les descriptions qui sont là dans les livres. Mais vous ? Savez-vous
par vous-même quelque chose du mental ?». I1 m'a dit: «Cessez
donc de poser des questions impertinentes !» (Rire). Il est vrai que ce
sont des questions dangereuses ! Si vous tenez à passer l'examen, bornez-vous
à prendre des notes, à les garder en mémoire et à
les répéter dans vos copies, et vous aurez votre diplôme.
Ce résultat-là ne m'intéressait pas. Ce qui m'intéressait,
c'est de découvrir le mental.. .
Mon engagement ultérieur dans la Société théosophique
s'explique par mon conditionnement. J'ai hérité de la Société
théosophique, de Jiddu Krishnamurti et d'une somme rondelette léguée
par mon grand-père. Je pouvais désormais me lancer dans ce genre
d'activité. Mais le c¦ur n'y était pas ! «Tout ça,
c'est de l'information de seconde main...» Désormais engagé
en qualité de conférencier par la Société, j'étais
alors un excellent orateur - ce que je ne suis plus !... - Je faisais des conférences
partout, sur toutes les estrades. Je prenais la parole en Inde dans toutes les
universités. «Cela n'a pour moi aucun sens, me disais-je. Tous
ceux qui ont un cerveau organisé peuvent recueillir des informations
et les diffuser. Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi y perdre mon temps
? Cela n'a rien à voir avec mes conditions d'existence. S'il s'agit de
gagner sa vie, bravo ! Là je comprends. On répète comme
un perroquet et on s'«assure» un salaire. Mais ce n'est pas là
mon problème. Et pourtant à certains égards ces sujets
m'intéressent... »
C'est alors que Jiddu Krishnamurti entra en scène (6). J'ai suivi pendant
sept ans les conférences qu'il faisait à chacun de ses passages.
Je ne l'ai pas rencontré personnellement à cette époque
parce que le «business» de «Grand instructeur du Monde»
créait autour de lui une certaine distance. Et je me disais: «Comment
s'opère la création d'un «Instructeur du Monde» ?
On naît Instructeur du Monde, on ne le devient pas...». Connaissant
les coulisses de tout le business, je me suis toujours tenu à la périphérie
et je n'ai jamais voulu me laisser totalement piéger. Dans ce milieu-là
aussi il y avait de l'hypocrisie. Ils avaient une vie superficielle, tous ces
savants, ces grands cerveaux, ces gens éminents. «Mais, me disais-je,
qu'y a-t-il de valable derrière tout cela ?».
Au bout de ces sept années, les circonstances nous mirent en relation
directe. Je voyais Krishnamurti tous les jours et nous discutions. Je ne prenais
pas le moindre intérêt à ses abstractions, ni à son
enseignement. Je lui ai dit une fois: « Vous avez piqué le jargon
psychologique en vogue et vous essayez d'exprimer quelque chose au moyen de
ce jargon. Vous adoptez l'analyse et vous en arrivez à l'impasse. Cette
sorte d'analyse paralyse les gens; elle ne les aide pas. En tout cas, elle ne
m'aide pas». Ma question était toujours la même: «Qu'est-ce
donc Cela que vous avez ?» Les abstractions, dont vous me bombardez ne
m'intéressent pas. Y a-t-il quelque chose de valable derrière
?... J'ai parfois le sentiment - mais c'est peut-être de ma part une projection
- que, pour reprendre une comparaison traditionnelle qui nous est familière,
vous avez au moins vu le sucre mais je ne suis pas sûr que vous l'ayez
goûté»...
Nous nous sommes battus ainsi des années durant (Rire). Il y avait entre
nous des divergences personnelles. Je voulais tirer de lui des réponses
directes, honnêtes, sur son passé mais il ne me les fournissait
pas d'une manière satisfaisante. Il se tenait sur la défensive.
Et vers la fin de nos entretiens, j'insistai: «Allons ! Y a-t-il vraiment
quelque chose derrière ces abstractions dont vous me bombardez».
Ce petit monsieur me dit alors: «Vous ne pouvez absolument pas le découvrir
par vous-même».
C'était le bouquet ! La fin de nos relations: «Si je ne peux pas
le découvrir par moi-même et si vous ne pouvez pas me le communiquer,
alors que diable discutons-nous ? Salut ! Je ne veux plus vous revoir»
(7). Et je suis parti. ..
**
Avant ma quarante-neuvième année, j'ai eu de nombreux pouvoirs,
de nombreuses expériences mais je n'y prêtais pas la moindre attention.
Quand je me trouvais en présence d'un homme, je voyais instantanément
tout son passé, son présent et son avenir sans qu'il ne m'en eût
rien dit. Je n'ai pas utillsé ces pouvoirs. J'étais simplement
perplexe, intrigué... «Pourquoi ai-je ce pouvoir ?» Il m'arrivait
parfois d'évoquer certains événements qui se produisaient
à coup sûr. J'étais incapable d'imaginer le mécanisme
de ce phénomène et cependant j'essayais: «Comment ai-je
pu prédire cela ?»... Ce n'était pas un jeu pour moi; d'autant
qu'à l'époque ces pouvoirs entraînaient de déplaisantes
conséquences et provoquaient même pour certains de véritables
souffrances.
Il me semblait que je n'avais plus de tête. Elle paraissait pourtant demeurer
en place mais d'où venaient ces pensées ? C'était là
mon problème. La «tête» était pratiquement absente
et la volonté n'existait pas. J'étais comme une feuille vivant
au gré du vent sa minable existence - interminablement !...
Finalement, je ne sais trop comment j'en vins à me dire: «Ce genre
de vie n'est pas bon»... Je n'étais qu'un clochard, vivant de la
charité publique, sans but et sans volonté. Je ne savais pas ce
que je faisais: j'étais pratiquement dément. Je me trouvais à
Londres errant sans savoir où aller, errant dans les rues toute la nuit...
Les policemen m'avaient à l'¦il: «T'as donc pas de domicile
? On va te fourrer au bloc...». Voilà le genre d'existence que
j'ai mené... Dans la journée, je pouvais aller au British Museum.
J'avais de quoi payer l'entrée... Mais que lire au British Museum ? La
lecture ne me disait rien, les livres ne m'intéressaient pas mais pour
faire semblant de lire, je prenais un thésaurus de l'argot des bas-fonds,
I'argot des criminels, toutes sortes d'argots... Je lisais ça pour passer
le temps et la nuit j'errais... Des nuits et des nuits durant...
Un jour, j'étais assis à Hyde Park. Un policeman vint me dire:
«Tu ne peux pas rester là. On va t'expulser». Alors, où
aller ? Pas d'argent (je crois bien que j'avais cinq pence en poche)... Une
pensée me vint, surgie du néant: «Va donc à la Mission
Ramakrishna...» mais c'était peut-être une projection. Je
pouvais continuer d'errer dans les rues, mais le type me suivait. Alors j'ai
pris le métro jusqu'au terminus. De là j'ai marché jusqu'à
la Mission et j'ai demandé à voir le Swami. On me dit qu'il était
dix heures du soir et qu'il ne me recevrait pas, ni moi ni personne. J'ai dit
au secrétaire qu'il fallait absolument que je le voie. Il finit par venir
et je lui présentai une sorte de «curriculum» où il
y avait le texte de mes conférences, les commentaires du New York Times
sur mes conférences et sur ma formation culturelle. J'avais, ie ne sais
comment, conservé ce document que mon impresario m'avait préparé
aux Etats-Unis. «Voilà, dis-je au Swami, ce que j'étais
et vous voyez ce que je suis aujourd'hui...» Que voulez-vous ? me dit-il.
«Je veux aller dans la salle de méditation y passer la nuit »
Pas possible, le règlement en interdit l'accès après huit
heures. La salle n'ouvrira qu'à huit heures demain matin.» Je lui
dis: «Je ne sais où aller». «Je vous réserverai
une chambre. Restez à l'hôtel ce soir et revenez demain.»
Le lendemain, bien fatigué, je revins vers midi. On était en train
de manger. On me fit déjeuner et je pus enfin prendre un vrai repas.
J'avais alors complètement perdu l'appétit. Je ne savais plus
ce qu'était la faim ou la soif.
Après le déjeuner, le Swami me convoqua et me dit: «Je suis
à la recherche de quelqu'un comme vous. Mon assistant qui était
chargé du service d'édition est actuellement atteint d'une maladie
mentale. Il a fallu l'hospitaliser. Et je dois publier le numéro spécial
du Centenaire de Vivekananda. Vous êtes exactement l'homme qui convient
et vous pouvez m'aider».
Je lui ai dit: «Je ne suis plus capable d'écrire. J'ai fait jadis
des travaux d'édition, mais maintenant je ne peux plus rien faire: je
suis un homme fini !». Il m'assura que nous pouvions collaborer. Il avait
terriblement besoin de s'assurer le concours d'une personne compétente
en philosophie indienne. Il aurait pu trouver sans difficulté un spécialiste,
mais il me dit: «Mais non, c'est parfait. Reposez-vous ici quelque temps.
Je prendrai soin de vous». Je lui ai dit: «Je ne veux pas faire
un travail littéraire. Si vous me logez, je ferai la vaisselle ou un
autre travail du même genre, mais je suis incapable de faire ce que vous
me demandez». «Mais non, me dit-il, c'est de cela que j'ai besoin».
Alors j'ai essayé de faire pour le mieux; ce n'était satisfaisant
ni pour l'un, ni pour l'autre. Nous avons ensemble réussi à publier
ce numéro spécial. Il me donna aussi de l'argent cinq livres,
soit le tarif du salaire offert par les Swamis. C'était bien la première
fois que je pouvais disposer d'une pareille somme: «Que vais-je faire
de cela ?» me disais-je. J'avais perdu le sens de la valeur de l'argent...
il fut un temps où je pouvais faire un chèque de cent mille roupies
mais par la suite je n'eus même plus de petite monnaie. Et voici que j'avais
maintenant cinq livres en poche ! Que vais-je en faire ? Alors j'ai décidé
de voir tous les films qui sortaient à Londres. Le matin je restais à
travailler à la Mission. J'y déjeunais et j'allais ensuite voir
un film. Vint un temps où je ne trouvai plus un seul film à voir.
Dans les faubourgs de Londres, on donnait trois films pour une roupie, et c'est
ainsi que j'épuisai les programmes en dépensant tout mon avoir.
J'avais coutume de m'asseoir dans la salle de méditation, curieux de
voir tous ces gens méditer. «Pourquoi se livrent-ils à ces
sottes pratiques ?». Avec le temps, je les avais abandonnées. J'eus
cependant, dans ce lieu de méditation, une étrange expérience.
S'agissait-il d'une projection ou... d'autre chose ? Quoiqu'il en soit, le fait
est là. Pour la première fois, j'ai ressenti un phénomène
particulier. J'étais là, assis à ne rien faire, regardant
tous ces gens, les prenant en pitié: «Ces gens-là méditent.
Pourquoi aspirent-ils au Samadhi ? Ils n'en tireront rien. J'ai passé
par là... Ils se bercent d'illusions. Et que puis-je faire pour leur
éviter de gaspiller ainsi leur vie ? Ça ne les mèncra à
rien». J'étais assis là... C'était le vide, le néant...
Et j'eus tout à coup une étrange sensation. Dans mon corps quelque
chose bougeait, émanant du pénis, I'énergie affluait gagnant
la tête et la traversant comme s'il y avait un orifice. C'était
un mouvement circulaire, tantôt dans le sens des aiguilles d'une montre,
tantôt en sens contraire comme la publicité des cigarettes Wills
à l'aéroport. C'était une drôle de chose qui m'arrivait
là, et je ne la rattachais toutefois à rien de précis puisque
j'étais un homme fini... Quelqu'un me nourrissait, prenait soin de moi...
Je n'avais aucun souci du lendemain. Pourtant il se passait en moi quelque chose:
«Cette façon de vivre est perversité pure...» Mais
je n'avais toujours pas la tête à moi... Que pouvais-je faire ?
Et le temps passait... Au bout de trois mois, je dis: «Je m'en vais. Je
ne peux pas continuer ainsi». Le Swami me donna de l'argent, quarante
ou cinquante livres. Je pris alors une décision...
J'avais conservé par devers moi un billet de retour pour l'Inde par avion.
J'en profitai pour aller à Paris. Là je fis une opération
de change avantageuse. Le billet étant remboursable en dollars, j'en
tirai trente cinq livres et je pus disposer d'un total de cent cinquante livres.
Je vécus ainsi à l'hôtel à Paris pendant trois mois,
errant dans les rues comme je l'avais fait auparavant. La seule différence,
c'est que j'avais maintenant quelque argent en poche. Peu à peu cet argent
disparut. Je me décidai alors au départ, mais je ne voulais pas
rentrer en Inde. Je craignais d'y retrouver ma famille, mes enfants... autant
de complications en vue (8). Ils voudraient certainement vivre tous ensemble
avec moi...
Depuis des années, j'avais un compte dans une banque suisse. Je croyais
avoir encore quelque argent là. La seule solution était d'aller
en Suisse, de retirer l'argent et de voir venir. Je quittai donc l'hôtel;
je pris un taxi et dis au chauffeur: «Emmenez-moi à la gare de
Lyon», mais le train pour Zurich (la ville où j'avais mon compte
en banque) part de la gare de l'Est, et je ne sais pourquoi j'avais demandé
à aller à la gare de Lyon. C'est donc là que le taxi me
déposa et je pris le train pour Genève...
Je débarquai à Genève avec environ cent-cinquante francs
à dépenser. Je restai à l'hôtel jusqu'au jour où
je n'eus plus d'argent pour régler la facture qu'on me présenta
deux semaines après mon arrivée. «Allez ! Il faut payer».
Je n'avais pas d'argent. Je levai les bras au ciel... Il ne me restait plus
qu'à aller au Consulat de l'Inde et à dire: «Expédiez-moi
en Inde. Comme vous voyez, je suis un homme fini !» Ainsi prit fin ma
répugnance à l'égard du retour. Je me rendis au Consulat
et je sortis mon fameux curriculum: «L'un des plus brillants orateurs
que l'Inde ait jamais produit...» et les éloges de Norman Cousins
et de Radhakrisna relatifs à mes talents... Le Vice Consul me déclara
«Impossible d'envoyer en Inde un homme tel que vous aux frais de notre
gouvernement. A quoi pensez-vous ! Tâchez de vous faire envoyer un peu
d'argent de là-bas et en attendant, venez vous installer ici».
Et cette vie-là continua... C'est au Consulat que je rencontrai une dame
suisse (9). Elle était traductrice, mais il arriva qu'un jour elle dut
remplacer la préposée au service d'accueil... Elle me dit: «Si
vous voulez rester ici, je m'arrangerai pour qu'on vous permette de résider
en Suisse si vous ne voulez pas aller en Inde.» Un mois plus tard, le
Consulat me renvoyait mais nous nous sommes débrouillés. Elle
a créé pour moi un foyer en Suisse et elle a lâché
son job. Elle n'est pas riche elle ne dispose que d'une petite pension mais
cela nous suffit.
C'est ainsi que nous nous sommes installés à Saanen. Ce lieu avait
pour moi une signification particulière. En 1953, quand je voyageais
dans cette région, j'étais passé à Saanen et quelque
chose en moi me dit: «Descends du train et séjourne quelque temps
ici». Je passai là une semaine et je me dis: «Voilà
l'endroit où je dois passer le reste de ma vie.» J'avais alors...
J'avais alors beaucoup d'argent, mais ma femme ne voulait pas vivre en Suisse
à cause du climat. Certaines circonstances nous amenèrent d'ailleurs
à partir en Amérique. Et c'est ainsi qu'ultérieurement
cet ancien rêve inassouvi se matérialisa: nous sommes allés
à Saanen, Valentine et moi; parce que j'avais toujours souhaité
y vivre... Par la suite, J. Krishnamurti choisit Saanen pour ses sessions d'été
et ce type continue de s'y rendre régulièrement. Je vivais donc
à Saanen, mais je ne m'intéressais pas à Krishnamurti,
pas plus d'ailleurs qu'à rien d'autre. A titre d'exemple, Valentine vécut
avec moi quelques années avant ma quarante-neuvième année
et elle peut vous dire que je ne lui ai jamais parlé de l'intérêt
que je portais à la Réalité, à la Vérité.
Je n'ai jamais discuté avec elle de ces sujets, pas plus d'ailleurs qu'avec
d'autres personnes. Il n'y avait en moi aucune recherche, aucune aspiration.
Et il se passait cependant de drôles de choses...
A cette époque que j'appelle celle de l'incubation, divers phénomènes
se produisaient dans mon organisme: des maux de tête permanents, de terribles
souffrances cérébrales. J'avalais des dizaines de milliers de
cachets d'aspirine. Rien ne me soulageait... Ce n'étaient pas des migraines
ni aucun des maux de tête identifiés. Outre les cachets, je prenais
quinze à vingt tasses de café par jour pour me libérer...
Valentine me dit un jour: « Tu bois quinze tasses de café par jour.
Sais-tu ce que cela représente sur le plan financier: trois à
quatre cents francs par mois ! Mais qu'est-ce que cela veut dire ? ».
C'était en tout cas quelque chose de terrible pour moi...
Toutes sortes de curieux phénomènes m'arrivaient. Je me souviens
que quand je frottais mon corps (comme ça) une étincelle se produisait
et une sorte de lueur phosphorescente apparaissait sur moi. Valentine se ruait
hors de sa chambre pour voir ce qui se passait croyant qu'il s'agissait des
cars qui roulaient par là en pleine nuit ! Chaque fois que je me retournais
dans mon lit, il se produisait une étincelle (Rire) et ça me paraissait
drôle: Qu'est-ce que c'est que ca ? De l'électricité ? Un
champ magnétique ? Au début, j'ai pensé à l'électricité
statique provoquée par les vêtements de nylon et j'ai cessé
d'en porter. J'étais des pieds à la tête un « sceptique
hérétique ». Je n'ai d'ailleurs cru à rien et si
quelque « miracle » se produisait, je refusais de l'admettre. Voilà
le genre d'homme que j'étais ! Il ne m'est jamais venu à l'esprit
qu'un pouvoir de ce genre pouvait être intégré dans ma structure
physique. Ces mystères qui m'arrivaient, je ne pouvais les concevoir
en relation avec ma « libération », avec « moksha »
qui, à cette époque avaient cessé d'entrer dans mon «
système ». J'étais alors convaincu que Bouddha s'était
trompé et avait trompé les autres et que tous ces instructeurs,
ces sauveurs de l'espèce humaine étaient de sacrés idiots
qui se mettaient dedans eux-mêmes. Tout cela ne m'intéressait plus
et m'était désormais tout à fait étranger. Ces phénomènes
cependant suivaient leur cours, mais je ne me suis jamais dit (Rire): «
J'avance sur la Voie ! Je m'approche de Cela ! ». Il n'y a pas d'approche
de Cela... Il n'y a pas d'intimité avec Cela... Personne ne progresse
vers Cela !...On n'est pas « préparé » à Cela:
ça vous tombe dessus comme une tonne de briques !
Plus tard, je me trouvai à Paris alors que Krishnamurti s'y trouvait
également. Des amis me suggérèrent: « Pourquoi ne
pas aller écouter votre vieil ami ? Il est ici et il va faire une conférence
! ». « D'accord, dis-je. Cela fait des années que je ne l'ai
entendu, près de vingt ans ! Allons l'entendre ! ». Il fallait
payer deux francs d'entrée. Alors j'ai dit: « Je n'ai pas envie
de payer deux francs pour entendre Krishnamurti !... Allez, on va s'envoyer
en l'air ! On va aller à une séance de strip-tease, ou aux Folies
Bergères, ou au Casino de Paris... » J'ai eu alors une très
étrange expérience: nous étions au spectacle du Casino
de Paris. Et je ne savais pas si j'étais la danseuse ou s'il y avait
quelqu'un d'autre sur la scène... Et il y avait un singulier mouvement,
là, à l'intérieur de moi (ce qui est pour moi tout naturel
à l'heure actuelle). Il n'y avait plus de division; il n'y avait personne
pour regarder la danseuse. La question de savoir si j'étais la danseuse
ou si, hors de moi, il y avait une danseuse sur scène m'intriguait. Cette
singulière expérience de l'absence de division entre la danseuse
et moi me tracassa un certain temps...
La question: Quel est cet état ? me préoccupait avec une singulière
intensité sans toutefois comporter un élément émotionnel.
Et plus je tentais de trouver la réponse, plus j'étais incapable
d'y parvenir et plus intense se faisait l'appel... Ia comparaison avec la bale
de riz me vient toujours à l'esprit: si l'on met le feu à un tas
de bales de riz, il continue de brûler sans produire de flamme visible
mais si on touche le tas en question, on est sûr de se brûler. Il
en était de même pour ma question: « Quel est cet état
? Je veux l'éprouver ». C'était pourtant fini : Krishnamurti
m'avait dit : « Vous n'avez pas la possibilité... » mais
je continuais inlassablement à rechercher cet état où se
trouvait le Bouddha, Sankara et bien d'autres...
Et voici que s'amorça une nouvelle phase 2. De retour à Saanen,
Krishnamurti faisait des conférences. Mes amis m'y entrâînèrent:
« Cette fois au moins, c'est gratuit. Pourquoi ne pas y aller ? »
- « D'accord. J'irai l'écouter ». Et tandis qu'effectivement
je l'écoutais, il arriva une drôle de chose - la curieuse impression
qu'il décrivait mon état et non le sien (Pourquoi d'ailleurs aurais-je
voulu connaître son état ?). Il décrivait certains mouvements,
une certaine conscience d'être, un certain silence... « Dans ce
silence, il n'y a pas de mental; il y a une action » et ainsi de suite...
« Mais, me dis-je, je suis dans cet état. Que diable ai-je fait
au cours de ces trente ou quarante ans à l'écoute de tous ces
gens, obsédé par le désir de connaître son état
et celui des autres, Bouddha, Jésus. Je suis dans cet état. A
l'instant même, je suis dans cet état ». Et je sortis de
la tente sans jamais plus regarder en arrière.
Et alors, très étrangement, cette question: Quel est cet état
? se mua en une autre: « Comment sais-je que je me trouve dans cet état,
l'état de Bouddha, l'état que j'ai tant souhaité et que
j'ai recherché auprès d'autres ? ».
Le jour suivant (12), j'étais assis sur un banc à l'abri d'un
arbre, en présence d'un des plus beaux paysages du monde entier: les
sept collines et les sept vallées de la région de Saanen. J'étais
assis là. Je ne peux pas dire que la question était là:
mon être tout entier était la question. « Comment sais-je
que je suis dans cet état ? ». Il y a une sorte de division intérieure.
I1 y a en moi quelqu'un qui sait que je suis dans cet état. La connaissance
de cet état - ce que j'ai lu, ce que j'ai éprouvé, ce dont
on parle - c'est cette connaissance même qui observe cet état et
c'est elle seule qui l'a projetée... ». Et je me dis: « Ecoute
un peu mon vieux, depuis quarante ans tu n'as pas avancé d'un pas; tu
es toujours dans la case n° 1. C'est la même connaissance qui a projeté
ton mental là, sur cette même case quand tu as posé cette
question: « Comment est-ce que je sais ?... Tu t'illusionnes. Tu es un
sacré idiot ! ». C'était l'impasse... restait quand même
le sentiment singulier que c'était bien cet état...
Cette question-là ne recevait aucune réponse. Elle était
prise dans un tourbillon et ça tournait, ça tournait... Et tout
à coup, la question disparut. Rien n'arriva. La question simplement disparut.
Je ne me suis pas dit: « Oh ! mon Dieu ! Enfin je tiens la réponse...
». L'état lui-même disparut, cet état où je
croyais être, l'état de Bouddha, de Jésus, même cet
état avait disparu, la question aussi. J'en ai fini avec tout cela. Et
depuis, je ne me suis jamais dit « Désormais j'ai la réponse
à toutes mes questions ». L'état lui-même où
j'avais cru être, cet état avait disparu, la question aussi. C'était
la fin... Pas de vacuité, pas de néant, pas de vide. Rien de tout
cela. La question s'évanouissait soudain et c'est tout...
**
Alors la pensée ne peut plus établir de liaisons. L'enchaînement
est rompu, c'est définitif. L'explosion de la pensée ne se produit
pas une fois seulement. Chaque fois qu'une pensée surgit, elle explose.
C'est ainsi que la continuité parvient à son terme et que la pensée
retombe dans son rythme naturel.
Depuis lors je n'ai plus de question d'aucune sorte parce qu'elles ne peuvent
plus survivre. Les seules questions que je me pose sont très simples:
elles me servent à fonctionner dans le monde (par exemple: « Comment
aller d'ici à Hyderabad ? »). On a toujours des réponses
à ces questions-là. Pour les autres, personne n'a de réponse;
il n'y a donc plus de questions...
Une sorte de blocage s'est produit dans ma tête. Plus de place pour ce
qui pourrait tenter de meubler ma cervelle. Pour la première fois, je
prenais conscience de ma tête et de son caractère hermétiquement
clos. Ainsi ces vasanas (ou quelque soit le nom que vous donniez à ces
éléments de la mémoire) essaient bien parfois de montrer
leur nez, mais les cellules du cerveau sont si compactes qu'elles n'ont plus
la possibilité de divaguer ça et là; la division ne peut
plus s'installer: c'est une impossibilité physique devant laquelle vous
restez sans réaction. C'est pourquoi je dis que lorsque l'explosion se
produit (j'emploie ce mot parce qu'il s'agit bien d'une sorte d'explosion nucléaire)
elle laisse derrière elle des réactions en chaîne. Chacune
des cellules de votre corps, les cellules mêmes de la moëlle osseuse
ont à subir ce changement - je n'aime pas employer ce mot, mais c'est
bien un changement irréversible: il n'est pas question de revenir en
arrière. Pas question de « rechute » pour l'homme qui l'a
subi. C'est irréversible; une alchimie particulière s'est mise
en ¦uvre.
Oui, j'y insiste: c'est comme une explosion nucléaire; elle vous met
le corps en pièces. Ce n'est pas un processus facile: c'est la fin de
l'homme. C'est un coup fracassant qui démolit chaque cellule, chaque
nerf de votre corps. J'ai subi alors de terribles tortures physiques. A vrai
dire, vous ne pouvez pas faire l'expérience de l'explosion elle-même,
mais ses effets secondaires, la retombée: c'est cela qui transforme toute
la chimie de votre corps.
**
Q: « Vous avez dit, Monsieur, faire l'expérience (si toutefois
je puis employer ce terme) de plans supérieurs ?
U.G.: « Des plans dites-vous ? Il n'y a pas de plans - pas de niveaux.
Il y a, voyez-vous, un fait très étrange qui se produit en tant
que résultat de cette explosion (quel que soit le nom qu'on lui donne).
A aucun moment je n'ai conscience d'une différence entre vous et moi
- jamais ! et cela tout simplement parce qu'il n'existe pas de point de référence,
pas de centre. C'est par référence à un centre que pourrait
se créer une différence. »
Q: D'une manière quelconque, vous devez être différent des
autres ?
U.G.: Physiologiquement, c'est probable.
Q: Vous avez dit que de formidables changements se sont produits en vous. Comment
le savez-vous ? Avez-vous jamais été examiné ou bien s'agit-il
d'une déduction ?
U.G.: Sur les effets secondaires, sur la manière dont fonctionnent les
sens actuellement, sans élément coordinateur, c'est tout ce que
je peux vous dire. Une chose encore: la chimie de l'organisme a changé:
je suis en mesure de le dire parce que sans l'intervention d'une sorte d'alchimie
ou de changement dans le physique, il n'y a aucun moyen de libérer l'organisme
de la pensée, de la continuité de la pensée. Et sans une
telle continuité vous pouvez, sans difficulté, dire que quelque
chose est arrivé mais qu'est-il arrivé réellement ? Cela,
aucune expérience ne permet de le définir.
Q: Il peut se faire que par un jeu mental je pense tout simplement que je suis
« un homme explosé » ?
U.G.: Je n'essayerai pas de vous concéder quoique ce soit sur ce point.
Un tel simulacre de votre part serait impossible. Il y a eu là un fait
qui s'est produit en dehors du champ, du domaine où j'attendais, où
je rêvais, où je voulais le changement; le mot de « changement
» ne me satisfait pas: en réalité, je ne sais pas ce qui
m'est arrivé... Ce que je vous dis, c'est la manière dont je fonctionne
mais, fondamentalement, il ne peut y avoir de différence. Comment pourrait-il
y avoir une différence entre vous et moi ? Il ne peut y en avoir... Dans
la manière dont nous nous exprimons, il semble qu'il y en ait une, et
c'est cette différence éventuelle que j'essaie de saisir.
Au cours de la semaine suivante, les changements commencèrent: sept en
sept jours...
Je découvris tout d'abord la douceur de la peau, puis l'arrêt du
battement des paupieres, puis des changements en ce qui concerne le goût,
l'odorat et l'audition. Ces cinq transformations étaient peut-être
intervenues auparavant mais c'est alors seulement que je les remarquai.
Le premier Jour, je constatai que ma peau était douce comme de la soie
avec un éclat particulier, une coloration dorée. Chaque fois que
j'essayais de me raser, le rasoir glissait et je changeais vainement les lames.
Je touchais mon visage: le toucher était différent de même
que la manière dont je tenais le rasoir... Je ne rattachais cela à
rien de particulier; je me bornais à l'observer.
Le second jour, je pris pour la première fois conscience du fait que
mon esprit se trouvait dans ce que j'appellerais un état déconnecté.
J'étais en haut dans la cuisine. Valentine avait préparé
une soupe à la tomate. Je regardais sans savoir ce que cela pouvait bien
être... Valentine me dit que c'était de la soupe à la tomate;
je la goûtai et je constatai: « C'est donc là le goût
de la soupe à la tomate ». J'avalai la soupe et je revins à
cette nouvelle « forme » d'esprit - en réalité forme
n'est pas le mot juste: il s'agissait en fait d'une disposition informelle dans
laquelle je m'égarai de nouveau. Je demandai: « Qu'est-ce là
? » et elle me répéta que c'était de la soupe à
la tomate. Et de nouveau je goûtai, j'avalai et j'oubliai... Je jouai
ainsi pendant un certain temps. C'était pour moi un drôle de business
que cet état « déconnecté ». Actuellement c'est
devenu un état normal. Je ne perds plus mon temps dans les rêveries,
les soucis, la conceptualisation et autres formes de pensée auxquelles
se livrent la plupart des gens quand ils se trouvent seuls. Mon mental n'est
impliqué qu'en cas de besoin, par exemple, quand vous me posez des questions
ou quand je dois arranger un magnétophone... Le reste du temps mon mental
est dans 1'« état déconnecté ». Bien entendu,
j'ai maintenant récupéré ma mémoire; je l'avais
perdue tout d'abord; elle est revenue, mais elle se tient à l'arrière-plan
et n'intervient automatiquement qu'en cas de besoin. Quand ce n'est pas nécessaire,
il n'y a plus de mental ni de pensée: seulement la vie.
Le troisième jour des amis s'invitèrent pour dîner et je
leur dis: « D'accord, je vais préparer quelque chose. » Mais,
chose inexplicable, je ne parvenais pas à sentir et à goûter
correctement. Peu à peu, je me rendis compte que l'odorat et le goût
s'étaient transformés. Chaque fois qu'une odeur pénétrait
dans mes narines, elle affectait le centre olfactif de la même manière,
qu'il s'agisse d'un parfum coûteux ou du fumier de vache. Et chaque fois
que je goûtais un plat je ne goûtais que l'ingrédient dominant,
les autres saveurs ne venaient que lentement ensuite. Je ne sentais vraiment
que l'épice dominante: piment ou autre...
Le quatrième jour, c'est la vision qui subit un changement. Nous étions
assis au restaurant Rialto et je pris conscience d'une formidable « vistavision
», une sorte de miroir concave. Les objets venaient vers moi... bougeaient
en moi... s'écartaient de moi. C'était pour moi un puzzle: mes
yeux étaient comme une gigantesque caméra. Le foyer changeait
sans que j'y sois pour quelque chose. J'ai maintenant pris l'habitude de ce
puzzle. A l'heure actuelle, c'est ainsi que je vois. Quand vous m'emmenez dans
votre voiture, je suis comme un opérateur jouant avec sa caméra.
Les autos venant en sens opposé entrent en moi; celles qui nous dépassent
sortent de moi, et, quand mes yeux s'arrêtent sur un objet, ils le fixent
avec une attention totale comme une caméra. Quand nous sommes rentrés
au restaurant, j'ai regardé dans la glace pour voir ce que mes yeux avaient
d'étrange et comment ils se fixaient. Aucun clignement. Le battement
instinctif des paupières était définitivement interrompu.
Le quatrième jour, j'ai constaté un changement dans l'audition.
J'ai entendu l'aboiement d'un chien: cet aboiement émanait de moi. Et
il en était de même du mugissemnt d'une vache ou du sifflement
d'un train. Tous les bruits avaient en moi leur source. Ils émanaient
de moi et non de l'extérieur... Et il en est toujours ainsi.
C'est ainsi qu'en cinq jours mes sens se sont complètement transformés
et le sixième jour j'étais couché sur un sofa, Valentine
était dans la cuisine et tout à coup, mon corps disparut. Il n'y
avait plus de corps. Je regardais ma main. (c'est dingue !... On va m'envoyer
à l'hôpital des malades mentaux !)... Je regardais ma main... «
Est-ce bien elle ? » Pas de doute sur ce point... mais si je touchais
ce corps, rien ! je ne percevrais que le point de contact... Alors j'ai appelé
Valentine: « Vois-tu mon corps sur le sofa ? Rien en moi ne me dit que
c'est bien mon corps ». Elle toucha mon corps: « C'est bien ton
corps ». Mais cette affirmation ne m'apporta aucun réconfort, aucune
satisfaction: « Qu'est-ce que c'est que ce drôle de truc ? Mon corps
est absent ». Mon corps s'en est allé et n'est plus jamais revenu.
Les points de contact sont tout ce qui reste du corps. Rien d'autre, et cela
parce que la vue est complètement indépendante du sens du toucher.
Il ne m'est même pas possible de créer une image complète
de mon corps puisque, là où il n'y a pas de sens du toucher, il
y a des lacunes dans la conscience...
Le septième jour, j'étais de nouveau couché sur le sofa,
bien relaxé, savourant cet état déconnecté. Si Valentine
entrait, je l'identifiais en tant que Valentine. Quand elle sortait, c'était
fini, le vide... Plus de Valentine: « Qu'est-ce que c'est que ça
? Je ne peux même pas imaginer à quoi ressemble Valentine ! ».
J'écoutais les bruits qui venaient de la cuisine: « Qu'est-ce donc
que ces bruits qui émanent des profondeurs de mon corps ? ». Je
ne pouvais pas établir de relation; j'avais découvert que tous
mes sens fonctionnaient sans mécanisme intérieur de coordination.
L'élément coordinateur faisait défaut.
Quelque chose se produisit en moi: l'énergie vitale issue des diverses
parties du corps convergeait vers un point focal. Je me dis alors: « Te
voici maintenant parvenu au terme de la vie. Tu vas mourir ! ». J'appelai
Valentine et je lui dis: « Je vais mourir, Valentine, et il te faudra
disposer de mon corps. Remets-le aux médecins; ils pourront peut-être
l'utiliser. Je ne crois pas à l'incinération, ni aux funérailles,
ni à tout ce bazar. Dans ton intérêt, tu devras en disposer.
Il en viendrait un jour à sentir mauvais... Alors pourquoi ne pas t'en
débarrasser ? ». Elle me dit: « Tu es étranger. Le
gouvernement suisse ne voudra pas de ton corps. Laisse tomber !... »,
et elle sortit. Et la même histoire reprit: cet effrayant mouvement d'une
force de vie, convergeant, semblait-il, vers un point donné... J'étais
étendu sur le sofa. Le lit de Valentine était vide. J'allai m'y
étendre, prêt à tout événement. Valentine
allait et venait sans me prêter la moindre attention. Elle me disait:
« Un jour, tu dis que telle chose a changé, le lendemain, c'est
encore une autre chose et ainsi de suite ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire
? ». Elle n'avait jamais pris le moindre intérêt aux questions
religieuses... « Tu dis que tu vas mourir. Tu ne vas pas mourir. Tu es
bien, tu es gaillard et en pleine forme ! »... Le phénomène
continua de suivre son rythme. Toute l'énergie vitale avançait
vers quelque point focal situé je ne sais ou. Tout se passalt comme si
l'objectif d'une caméra essayait de se refermer c'est la seule comparaison
qui me vienne. En fait, ma description est tout à fait différente
de ce qui se passait réellement parce qu'il n y avait alors personne
pour employer mentalement ces termes. Tout cela fait partie de mon expérience
vécue, sinon je ne pourrais pas en parler. Je constatais donc que l'objectif
tentait de se refermer et qu'une certaine force tentait de le maintenir ouvert.
Au bout de quelques temps cette résistance cessa, et soudain la fermeture
s'opéra. Je ne sais ce qui arriva par la suite.
Le processus de cette « mort » avait duré quarante-neuf minutes.
C'était comme un mort physique. Cela m'arrive encorme maintenant: mes
pieds, mes mains refroidissent, les battements du c¦ur ralentissent,
le souffle également et il y a suffocation. Jusqu'à un certain
point, vous êtes présent. Vous en arrivez, semble-t-il, à
votre dernier souffle et c'est la fin... Ce qui arrive ensuite, personne n'en
sait rien.
Quand je sortis de cet état, quelqu'un m'apprit qu'on m'appelait au téléphone.
Je descendis répondre. J'étais hébété. Je
ne savais pas ce qui m'était arrivé. La mort physique ?... Ce
qui me rendit à la vie, je n'en sais rien. Combien de temps cela dura
? Je n'en sais rien... Je ne peux rien en dire parce que l'expérimentateur
n'existait plus: il n'y avait personne pour faire l'expérience de cette
mort. C'était donc fini... Et je me mis debout...
**
Je n'ai pas eu l'impression d'être un nouveau né. Et pas question
du tout d'illumination - mais les sujets d'étonnement de cette semaine,
les « changements » visuels, gustatifs et autres étaient
désormais des agencements inamovibles. J'appelle
“ calamité “ I'ensemble de ces événements parce
que, du point de vue de celui qui croirait voir là quelque chose de fantastique,
de bienheureux béatitude, amour, extase il y a là en réalité
une torture physique. De ce point de vue, il s'agit bien d'une " calamité
“. Ce n'est pas une calamité pour moi, mais pour ceux qui s'imaginent
que quelque chose de merveilleux va leur arriver... Supposez que vous
vous faites une certaine image de New-York. Vous en rêvez, vous voulez
y être. Quand effectivement vous vous y trouvez, il n'y a rien de tout
cela. Vous vous trouvez dans un lieu abandonné du ciel et que les diables
eux-mêmes ont déserté. Ce n'est pas ce que que vous avez
tant cherché et voulu si intensément. C'est tout à fait
différent. De ce qui est réellement, vous ne savez rien. Vous
n'avez aucun moyen d'en savoir quoi que ce soit : il n'y a là aucune
image. Dans ce sens, je ne peux pas me dire à moi-même ou dire
à quiconque: " Je suis un illuminé, un libéré,
un homme libre ! Je vais libérer le genre humain ... Libre de quoi
? Et comment puis-je libérer quelqu'un d'autre ? il ne peut
en être question. Pour que ce soit Possible, il me faudrait, comprenez-vous,
me faire de moi-même l’image d’un libéré.
Le huitième jour, j'étais assis sur le sofa et tout à coup il y eût le déchaînement d'une formidable énergie. Elle secouait simultanément le corps le sofa, le chalet et l'univers entier... Cela vibrait ! On n'aurait pu par ses propres moyens provoquer un tel ébranlement. C'était très soudain. Cela venait-il de l'extérieur ? De l'intérieur ? D'en haut ? d’en bas ? Je ne sais pas; je ne pouvais en localiser l'origine. C'était partout... Et cela dura des heures et des heures. Je ne pouvais pas le supporter mais je ne pouvais davantage y mettre fin. J'étais totalement impuissant. Chaque fois que je m'asseyais, cela reprenait. La vibration ressemblait à une crise d'épilepsie. Mais cela dura des jours et des jours ( Une note précise que U.G. resta alité pendant trois jours, le corps torturé par une souffrance qu'il ressentait dans chaque cellule. Les explosions d'énergie se produisirent d'une manière intermittente au cours des trois mois qui suivirent.) ..
Le corps n'en pouvait plus... C'était un très douloureux processus. Très douloureux. C'est une souffrance physique due au fait que le corps a ses limites. Il a une forme qui lui est propre et quand se produit une explosion d'énergie qui n'est ni à moi, ni à vous, ni à Dieu (quelque soit le nom que vous donniez à " Dieu” ) c'est comme un fleuve en crue. L'énergie qui est à l'œuvre dans le corps n'en connait pas ses limites, elle n'en est pas affectée, elle a son intensité propre. C'est une sensation des plus douloureuses. Ce n'est pas une extase bienheureuse, béatitude ou autres détritus. Sottises que tout cela. C'est une douleur réelle. Oh ! J'ai souffert ensuite des mois et des mois... Tout le monde y passe. Ramana Maharshi lui-même a souffert après Cela...
C'était une formidable cascade... des milliers de cascades... Souvenez-vous de la publicité des cigarettes Wills qui se trouve à l'aéroport. Il y a une alternance du mouvement conforme aux aiguilles d'une montre et du mouvement inverse : direct/inverse, Droite/gauche... Comme un atome, la force agit en vous, non sur quelque partie de votre corps mais sur le corps tout entier et c'est si pénible ! Vous avez la sensation que cette force vous enveloppe, qu'elle descend sur vous. Mais d'où descend-elle ? D'où vient-elle ? Comment vient-elle ? C'est chaque fois nouveau et très étrange, si nouveau qui vous ne savez pas ce qui vous arrive ! Vous êtes couché dans votre lit et tout à coup commence... ca commence à bouger lentement... comme des fourmis... Je croyais qu'il y avait des punaises dans mon lit. Je bondissais hors du lit; Rien (Rire). Pas de punaises ! Alors je me recouchais, et de nouveau... Les cheveux sont électrisés et bougent aussi lentement...
La souffrance affectait tout mon corps. Ce corps, la pensée l'avait contrôlé si rigoureusement que lorsqu'elle se relâchait, l'ensemble du métabolisme était en émoi. Tout l'organisme se transformait à sa manière sans que j'y sois pour rien. Ce fut ensuite le tour des gestes des mains. Habituellement les mains se tournent de cette manière-ci (Démonstration), mais au cours des six mois suivants de terribles douleurs affecteront la jointure des poignets et les mouvements se transformèrent: c'est pour cette raison que l'on a pu dire que mes gestes étaient des mudras (Gestes mystiques exprimant l'Adoration Selon Ma Ananda Moy, il en existe plusieurs sortes (ex. Ie JNANA MUDRA, correspondant au yoga de la connaissance). ces postures comporteraient certaines contractions musculaires) ... Les douleurs atteignirent jusqu'à la moelle des os. Chaque cellule se mit à changer; cela continua pendant six mois, inlassablement. Après quoi les hormones sexuelles changèrent à Ieur tour et je ne savais plus si j'étais un homme ou une femme; " Mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? ". Voici qu'un sein poussait sur la partie gauche de mon corps. Je ne veux pas entrer dans les détails: il existe un enregistrement complet de tous ces phénomènes. Et tout cela allait bon train. Il fallut trois ans pour que ce corps adoptât enfin son rythme propre.
Q: Pouvons-nous comprendre comment cela vous arriva ?
U.G.: Non !
Q: Pouvons-nous comprendre la nature de ce qui vous arriva ?
U.G.: Vous pouvez lire la description des événements de ma vie. Un point, c'est tout. Un jour, à mon quarante-neuvième anniversaire, quelque chose s'arrêta; le lendemain, nouveau changement et ainsi de suite. Il y a un enregistrement de ces transformations successives. Quelle valeur peut-il avoir pour vous ? Aucune ! C'est d'ailleurs très dangereux dans la mesure où vous essaieriez de simuler les manifestations extérieures. Il y a des gens qui font des essais de ce genre et qui croient que quelque chose se produit. Moi, je me suis comporté normalement. Je ne savais pas ce qui m'arrivait. C'était une étrange situation. Laisser un enregistrement ne sert de rien. Les gens tentent d'imiter cet état alors qu'il est absolument naturel (Une note de l'éditeur, très détaillée, résume ici les témoignages des amis d' U.G. décrivant certains " gonflements " de formes, de couleurs variées qu'ils ont pu observer sur son torse et sur sa tète. Le cobra et autres images traditionnelles de l'hindouisme et du bouddhisme apparaissent sur lui par intermittence comme une illustration vivante de la symbolique indienne. L'auteur qui se considère comme pratiquement athée ou du moins " hérétique " ne semble admettre ces faits qu'à contre-cœur (N.d.T.) .
Je ne veux pas me comporter en exhibitionniste mais après tout, vous êtes des médecins. Il y a dans le symbolisme indien l'image du cobra. Voyez-vous ces gonflements-là ? Ils prennent la forme d'un cobra... C'était hier la nouvelle lune. Or le corps est affecté par ce qui se passe dans l'environnement. Il n'en est pas séparé. Ce qui arrive aussi là, c'est la réplique physique. Votre corps est affecté par tout ce qui se passe autour de vous et vous ne pouvez pas l'empêcher pour la simple raison que l'armure que vous avez bâtie autour de vous est détruite, ce qui rend le corps très vulnérable aux phénomènes qui se produisent alentour... Au cours des phases de la lune (pleine lune, demi-lune, 1er quartier, etc.), ces gonflements prennent effectivement la forme d'un cobra. C'est peut-être la raison pour laquelle certains ont créé toute une imagerie, celle de Shiva entre autres. Mais pourquoi la forme du cobra ?... J'ai demandé à de nombreux médecins pourquoi tel gonflement se produit justement à tel endroit donné, mais personne n'a pu me fournir une réponse satisfaisante. J'ignore s'il s'agit de glandes ou de quelque chose d'autre...
Il y a certaines glandes j'en ai discuté bien des fois avec des médecins qui font des recherches sur les glandes closes (endocrines). Ces glandes-là seraient ce que les Indiens appellent chakras et on les situe effectivement aux endroits mêmes où les Indiens ont localisé les chakras. Il y a là notamment une glande appelée thymus (Glande située devant la trachée et qui n'est développée que chez l'enfant et chez les animaux (Larousse). qui est très active chez l'enfant qui a des sensations extraordinaires. Quand on atteint la puberté, cette intensité, dit-on, s'assoupit. Lorsque le changement d'état intervient autrement dit lorsque vous re-naissez cette glande est automatiquement activée et toutes les sensations (feelings) se situent là. Je dis bien sensations et non pas émotions ou pensées et vous ressentez pour quelqu'un d'autre Si quelqu'un se blesse là, la blessure est ressentie ici ce n'est pas une souffrance, mais une sensation. Automatiquement vous vous exclamez : Ah !...
Cela m'arriva réellement alors que je séjournais dans une plantation de café: une mère se mit à battre son petit enfant. Elle était folle, folle à lier et elle frappait si fort que l'enfant en devint tout bleu. Lorsque quelqu'un me dit: " Pourquoi n'intervenez-vous pas pour arrêter la mère ? ", j'étais là, paralysé par une intense perplexité. " Qui dois-je plaindre: la mère ou l'enfant ? ". L'un et l'autre étaient dans une situation ridicule : la mère ne pouvait maîtriser sa colère et l'enfant était si désarmé, si innocent ! Et cela continua de me travailler; par la suite je découvris les marques de coups sur mon dos : c'est donc que je participais moi aussi à cette action ! (je ne dis pas cela pour ma défense). Un tel phénomène est possible parce que la conscience ne peut être divisée. Tout ce qui arrive alentour vous affecte. C'est une affection comprenez-vous. Il n'est pas question de vous ériger en juge à l'égard de qui que ce soit. Une situation donnée vous entraîne à participer. Vous êtes impliqué dans tout ce qui arrive...
Q: Dans l'univers entier ?
U.G.: Non, I'univers est trop vaste. Il s'agit de ce qui arrive dans votre propre champ de conscience. Bien entendu la Conscience ne connaît pas de limites... En ce qui vous concerne, il y a une action immédiate et réciproque à l'égard de ce qui se produit dans votre champ de conscience, dans le champ limité où vous opérez à un moment donné vous réagissez (même si en réalité, ce n'est pas vous qui réagissez)...
Et il se trouve également dans votre corps d'autres glandes de nombreuses glandes, par exemple la glande pituitaire, le " troisième œil " nommé ajna chakra. Dès que l'interférence de la pensée est interrompue, la pensée est relayée par cette glande. C'est cette même glande qui transmet au corps des instructions ou des ordres. Ce n'est plus la pensée. La pensée ne peut intervenir (d'où sans doute le nom d'ajna chakra. Je ne tente pas d'interpréter le processus mais seulement de vous en donner une idée). Seulement voilà: vous avez bâti une armure au moyen de la pensée et vous ne vous permettez pas d'être affecté par ce qui advient.
Comme il n'y a plus personne qui utilise la pensée en tant que mécanisme d'auto-protection, elle brûle et se volatilise totalement. Elle subit une combustion une ionisation (si je peux utiliser l'un de vos termes scientifiques). La pensée après tout, c'est une vibration et quand se produit cette ionisation, elle explose et parfois couvre tout le corps d'une substance analogue à la cendre. Votre corps en est couvert quand aucun besoin de la pensée ne se fait sentir. Quand vous ne vous en servez pas, qu'advient-il d'elle ? Elle se consume et c'est l'énergie qui, par combustion, se dégage. Le corps s'échauffe. Il y a en lui une formidable chaleur et toute la peau, de la tête aux pieds, est couverte de cette substance analogue à la cendre. Votre corps en est couvert quand aucun besoin de la pensée ne se fait sentir.
C'est là une des raisons pour lesquelles j'exprime ce phénomène en termes physiques et physiologiques. Il n'y a là aucun contenu psychologique, aucun contenu mystique, aucune harmonique d'accent religieux. c'est ainsi que je le vois. Je suis tenu de le préciser et je ne me préoccupe pas de savoir Si OUI ou non vous l'acceptez. C'est pour moi sans importance.
Ce genre de choses a dû arriver à bien des gens. Je dis volontiers que cela arrive à une personne sur un million, et vous êtes cette personne sur un million. Ce n'est pas une chose à laquelle on est spécialement préparé. Aucune méthode de " purification " n'est indispensable, aucune sadhana n'est indispensable, aucune préparation ne s'impose pour qu'elle se produise. La conscience a besoin d'un déversement. Elle doit se purger de toute trace de sainteté, de toute trace de " péché “ : tout, même ce que vous considérez comme sacré et saint est une contamination dans la Conscience. Cela s'opère sans effort, sans volonté de votre part et quand les frontières sont brisées sans votre intervention, les vannes s'ouvrent et tout s'en va. Dans un tel processus de décharge, vous avez toutes les visions possibles. Ce n'est pas une vision intérieure ou extérieure: c'est soudain vous-même, toute votre conscience qui prend la forme de Jésus, Mahavira, Mahomet, Socrate pas les " grands hommes ", pas les " leaders " de l'espèce humaine, c'est très étrange... ceux-là seulement à qui cette sorte de chose est arrivée...
L'une de ces " formes " se trouvait être un homme haut en couleur (mais pas exactement un homme de couleur) et il m'était possible alors de décrire son aspect. Puis ce fut une femme dotée de seins, cheveux flottants, une femme nue. On m'avait dit qu'il y avait ici en Inde deux saintes, Akkamahadevi et Lallaswari, des femmes nues... Et tout à coup voilà que vous possédez deux seins, des cheveux flottants et jusqu'à des organes féminins... Mais il y a ici encore une division, une distinction entre vous-même et la forme que vous avez assumée, par exemple la forme de Bouddha, celle de Jésus, celle de Dieu sait qui !... Et la question se pose: " Comment sais-je que je me trouve dans cet état ? ". Mais cette division-là ne peut se maintenir; elle dis parait et quelque chose d'autre apparaît. Ces phénomènes sont arrivés à des centaines de gens. Cela fait partie de l'histoire: de nombreux rishis, quelques Occidentaux, de nombreuses femmes ont vécu d'étranges événements. Dites-vous bien que tout ce dont ces gens-là ont fait l'expérience fait partie de votre conscience. J'emploie volontiers la formule: " Les Saints font leur sortie "... Dans le Christianisme, on chante un hymne: " Lorsque les Saints font leur entrée (Oh ! when the saints go marching in). Mais les saints doivent sortir de notre conscience parce qu'ils ne peuvent s'y maintenir, parce que tout cela est une impureté, une Contamination On pourrait dire mais je n'entends pas formuler ici une hypothèse catégorique! que c'est probablement l'impact sur la conscience de l'explosion de ces saints, de ces sages, de ces sauveteurs de l'espèce humaine qui provoque en nous cette insatisfaction, que Cela qui est en vous appelle en quelque sorte l'explosion. Il en est peut-être ainsi je ne peux rien dire sur ce point. On pourrait dire que tous ces êtres résident clans votre conscience, pour vous pousser vers ce point extrême. Une fois leur but atteint, leur tâche accomplie, ils s'en iraient... Ce n'est là de ma part que pure spéculation. Quoiqu'il en soit, ce déferlement du bien et du mal te la sainteté et du " péché " doit se produire sinon votre conscience est toujours polluée, toujours impure. Cette liquidation accélérée prend cependant du temps et quand elle est achevée, vous êtes ramené à l'état de conscience primitif, primordial. La conscience désormais purifiée de sa propre initiative est intangible. Rien ne peut plus la contaminer. Le passé est toujours là, mais il ne pourra jamais plus influencer vos actions.
Toutes ces visions, tous ces phénomènes se produisirent trois ans durant après la " calamité " Tout est maintenant consommé. L'état de conscience divisé ne peut plus du tout fonctionner. La conscience est indivise. Rien ne peut la toucher. Tout peut intervenir: une pensée " bonne " ou " mauvaise ", le numéro de téléphone d'une prostituée de Londres. Au cours de mes errances dans cette ville, j'avais coutume de regarder au numéros fixés sur les arbres. Je n'avais pas envie d'aller chez la prostituée mais ces chiffres m'intéressaient... A vrai dire, je n'avais rien d'autre à faire. Pas de livre à lire... Un numéro se trouve inscrit là, il se répète ailleurs... Peu importe ce qui surgit là: c'est bon, c'est mauvais, sacré ou profane. Mais qui est présent là pour dire " Ceci est bien, cela est mal ". Cette dualité n'est plus. C'est pourquoi je suis disposé à utiliser le mot d'expérience religieuse, mais pas dans le sens courant du mot " religion ".
Une telle expérience vous ramène à la source. Vous êtes de nouveau dans l'état de conscience primitif, primordial, dans l'état de " conscience pure” (awareness). Appelez cet état: " Présence pure " ou tout autre terme à votre guise. Dans cet état, les événements se produisent et il n'y a personne pour s'y intéresser, personne pour les observer. Ils vont et viennent à leur manière, comme coule l'eau du Gange, emportant, telle une canalisation dégoût, avec les corps à demi-carbonisés à la fois le bien et le mal et l'eau ne perd jamais sa pureté.
Ce qu'il y eut de plus énigmatique et de plus ahurissant se produisit lorsque les activités sensorielles adoptèrent leur cours indépendant. Il n'y avait plus de coordinateur reliant les divers sens et cela entraînait de terribles problèmes. Valentine dut traverser toutes ces péripéties. En promenade, si je regardais une fleur et si je lui disais: " Qu'est-ce que c'est que ça ? " elle devait répondre: " C'est une fleur “. Un peu plus loin, regardant une vache, je disais: " Qu'est-ce que c'est que ça ? ". Comme un 'bébé, il me fallait tout apprendre, enfin il ne s'agissait pas exactement de ré-apprendre mais tout se tenait à l'arrière-plan et ne se présentait jamais spontanément. Et je me disais: " Mais qu'est-ce que c'est que ce business de dingue ? “. Je suis obligé d'employer ces mots-là et pourtant, Je ne me sentais jamais dans un état absurde. J'étais un homme très sain, agissant normalement, tout se passait bien et j'étais cependant condamné à poser ces questions ridicules sur les objets qui se présentaient. " Qu'est-ce que ceci ? Qu'est-ce que cela ?” ... C'est tout. Pas d'autres questions. Valentine ne savait pas plus que moi comment se comporter dans ce drôle de business . Elle alla même voir à Genève un éminent psychiatre. On peut dire qu’elle s'y précipita : elle voulait à tout prix comprendre et pourtant elle sentait bien qu'il n'y avait réellement rien de " dingue " en moi. Si j’avais seulement fait quelque folie, elle m'aurait quitté, mais cela n’arriva jamais. Seulement ces bizarreries: qu'est-ce que ceci, cela et encore... pour elle comme pour moi, c'en était trop. Elle se rendit donc chez ce psychiatre qui lui dit . " Sans voir la personne, je ne peux rien dire. Amenez-la moi”. Moi, je savais bien qu'il s'était passé en moi quelque chose de fantastique . Ce que c'était, je n'en sais rien et je peux dire que cela ne me tracassait pas: " Pourquoi demander si cet animal est une vache ? Qu’est-ce que cela peut bien faire que ce soit une vache, un âne ou un cheval ? " cette situation abasourdissante dura très longtemps. Toute la connaissance antérieure était reléguée à l'arrière-plan. Il en est de même aujourd'hui, mais je ne pose plus ces questions-là. Quand je regarde quelque chose, je ne sais vraiment pas ce que je regarde. C'est pour cela que je me dis en état de non-connaissance.
Quand vous vous trouvez dans cet état à la faveur d’une “chance” ou de quelque étrange hasard, tout phénomène arrive à sa manière. Vous vous trouvez toujours en état de samadhi et il ne peut être question d’y entrer ou d’en sortir. Vous êtes toujours dans cet état. Je n'aime guère employer le mot de samadhi, alors je parle d'un état de non-connaissance. Et vous ne savez absolument pas ce que vous regardez...
Je n'y peux rien. Pas question de revenir en arrière...C'est définitif ! je fonctionne d'une manière différente : j'emploie ces mots pour vous faire sentir ce qu'il en est !
En apparence il y a quelque différence. Comprenez bien la difficulté que j'éprouve lorsque les gens viennent me voir : ils ne semblent pas capables de comprendre la manière dont je fonctionne et je ne suis pas capable de comprendre la manière dont ils fonctionnent. Dans ces conditions, comment pourrions-nous poursuivre un dialogue ? Nous sommes obligés de l'interrompre. Je parle comme un maniaque délirant : la différence entre le maniaque et moi est de l'épaisseur d'un cheveu. C'est pourquoi j'affirme que vous n'avez le choix qu'entre deux attitudes: écarter mes propos d'une chiquenaude ou bien prendre la fuite.
Fondamentalement il n'y a absolument pas de différence: soit par hasard, soit par une chance exceptionnelle, ce genre d'événement se produit et c'est alors que votre ancien mode de fonctionnement est définitivement stoppé.
**
Q: Les " réalisés " diffèrent-ils également entre eux ?
U.G.: Oui, parce que leur arrière-plan est différent. L'arrière-plan seul a faculté de s'exprimer... La manière dont je me rends compte du mien est déterminée par mon passé de luttes, par la voie que j'ai suivie, par mon rejet de la voie suivie par d'autres. Un point, c'est tout. Je ne peux pas m'expliquer sur ce que j'ai pu faire ou ne pas faire par moi-même: c'est donc que cela ne m'a pas aidé...
Q: Mais un homme tel que vous (je regrette d'avoir à employer le mot " vous ") est différent de nous. Nous, nous sommes impliqués dans nos pensées.
U.G.: Cet homme-là diffère non seulement de vous mais aussi, à cause de son propre conditionnement, de tous ceux qui sont censés être dans le même état que lui.
Q: Bien que chacun de ceux qui sont censés avoir subi l'explosion soit unique, il semble bien qu'il existe entre eux certains caractères communs ?
U.G.: Cela, ce n'est pas mon problème. Il semble que ce soit le vôtre. Je ne me compare jamais avec personne d'autre. Et c'est là tout ce que je peux vous dire. Ma biographie s'arrête là. Il n'y a et il n'y aura jamais rien de plus à écrire. Si les gens viennent me poser des questions, je leur réponds. S'ils s'abstiennent, cela me laisse indifférent; je ne suis pas établi dans le " sacré commerce " de libérer les peuples. Je n'ai aucun message à transmettre à l'espèce humaine sinon l'affirmation que tous les systèmes visant à "l’illumination " sont des blagues et que tous les bavardages relatifs à une mutation psychologique par la voie de la " conscience pure " sont des foutaises. La mutation psychologique est impossible. L'état naturel ne survient qu'à la faveur d'une mutation biologique.
1. Background: Arrière-plan: traduction littérale peu satisfaisante.
Il s'agit en fait de tout le passé culturel d'un individu, de son conditionnement
(N.d.T.)
2. Sadhana: « accomplissement ! Ascèse systématique. »
3. YAMA Forme bénie. Dieu kshatria de l'hindouismc.
4. Peut-être une allusion ironique au livre de Krishnamurti (première
manière): « Aux pieds du Maître ».
5. Traduction française: « L'lnde secrète ».
6. Fin 1940.
7. Ils se reverront cependant...
8. U.G. s'était marié en 1943. En 1945, il se rendit aux Etats-Unis
avec sa femme et ses quatre enfants, en quête d'un traitement pour son
âîné atteint de poliomyélite. En 1961, ses ressources
financières étant épuisées, il expédia sa
famille en Inde, et gagna Londres où il erra sans but et sans ressources.
9. Valentine de Kerven.
10. Avril 1967.
11. Juillet 1967.
12. Le jour même de son anniversaire. Sa quarante-neuvième année.