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Voilà presque deux siècles qu'au nom de
l'idéologie du progrès, la société occidentale (aujourd'hui étendue à la
planète entière) a cru trouver le bonheur et le sens de l'existence,
dans une production et une consommation sans limite de biens et de
produits, jusqu'à l'épuisement programmé des ressources de la Terre qui
accueille l'humanité. Sortir de cette impasse suicidaire implique de
transformer radicalement nos modes de vie et de pensée.
C'est pourquoi la crise généralisée que nous traversons n'est pas
seulement économique, financière, énergétique ou politique : elle est
d'abord structurelle, culturelle, civilisationnelle et (osons le mot)
spirituelle ; elle est la conséquence d'une idéologie absurde, réduisant
l'être humain à un agent économique, sorte de créature robotique ayant
pour seule finalité de produire et consommer, niant par là sa dimension
affective, sensible, intuitive et idéaliste ; elle signe le désastre du
matérialisme, l'échec d'un monde dédié au culte du profit, la fin d'une
illusion, mais aussi peut-être la naissance d'un monde différent, plus
sage, plus heureux et plus libre, comme la métamorphose de la triste
chenille en somptueux papillon.
Les peuples qui nous ont précédés et qui
eurent au moins le grand mérite de nous léguer une planète habitable,
n'étaient pas, quant à eux, des obsédés de la croissance et du pouvoir
d'achat. Leurs centres d’intérêts étaient d'une toute autre nature : ils
se passionnaient pour des questions mystiques et métaphysiques et
entreprirent, par de multiples voies, de connaître et développer les
aptitudes et potentiels de la conscience et de l'esprit.
Aussi, sur tous les continents et dans toutes les cultures, peut-on
trouver le récit ou le témoignage d'êtres s'étant affranchis des
limitations de la conscience ordinaire et faisant montre de qualités et
capacités exceptionnelles : une joie et un amour constants et sans
limite, une totale sérénité et un niveau élevé de discernement et de
sagesse.
Cet état résultant d'un changement
intérieur radical, se trouve qualifié par des mots très variés : ainsi
en Orient, on parle dans le bouddhisme d'éveil ou d'illumination, dans
l'hindouisme : de libération ou de réalisation, et dans d'autres
traditions (soufisme, taoïsme et même chamanisme) on trouvera des termes
équivalents ; en Occident, on recourt aux concepts quelque peu
différents de sagesse ou de sainteté, mais les états que ces divers mots
tentent de traduire, s'avèrent proches ou similaires, car ils
constituent une réalité universelle, un potentiel offert à tout être
humain, quels que soient sa culture, son origine ou son parcours.
Le véritable bonheur serait-il donc l’Éveil ?
En quoi consiste-t-il exactement et comment en faire l'expérience ?
Comment reconnaître les « éveillés » ? Passent-ils devant une
commission chargée de les évaluer, les authentifier et leur délivrer une
certification ou une autorisation d'exercer ?
Il n'existe heureusement pas de
bureaucratie de l’Éveil. Le rayonnement, la bonté et l'amour qui émanent
des éveillés sont les seules sources de la fascination qu'il suscitent.
Pour qui a eu la chance de les rencontrer ou même de les voir en photo
ou en vidéo (notamment par les livres et films d'Arnaud Desjardins), ce
qui frappe est d'abord la profondeur et l'intensité de leur regard, à la
fois doux et puissant, aimant et conscient.
L'amour que manifestent les éveillés a ceci de remarquable et
d'inhabituel, qu'il touche chacun intimement et parfois de façon
bouleversante, tout en étant parfaitement impersonnel, offert également à
tous les êtres qu'ils rencontrent.
Cette manière d'aimer nous est la plupart du temps inconnue, tant elle
diffère de ce que nous nommons généralement « amour », sentiment
possessif, exclusif et jaloux, accordé à certains et pas à d'autres,
susceptible de se muer, s'il est contrarié, en haine, mépris ou même
indifférence.
L'amour ressenti par un être éveillé est au contraire patient,
immuable, paisible et inconditionnel (accordé sans condition), parce
qu'il ne dépend pas de l'autre mais de soi et résulte simplement de la
joie d'être, de la reconnexion à la source intérieure et éternelle de
sagesse et de bonté.
N'étant plus sujets aux projections,
illusions et fantasmes qui altèrent généralement le mental humain, ayant
atteint un plan de conscience situé au-delà des émotions aliénantes,
ils perçoivent le réel avec clarté et précision, et s'y adaptent
d'instant en instant, avec aisance, naturel, grâce et fluidité.
Autrement dit, ils improvisent constamment, ce qui ne manque pas de
décontenancer ceux qui ne s'autorisent pas pareille liberté. Leurs
paroles, actes et décisions ne se fondent pas sur l'application de
principes, règles ou commandements, mais sur la perception directe et
immédiate de chaque situation et sur l'appréciation intuitive de la
meilleure conduite à tenir, pour le plus grand bénéfice de chacun.
En raison de la joie, l'énergie et la
sérénité qu'ils émanent, les éveillés sont souvent l'objet d'un immense
respect, voire même d'une intense vénération, pouvant aller jusqu'au
culte de la personnalité.
Or l'adulation ou l’idolâtrie n'aide en rien à progresser sur la voie
de l’Éveil. C'est même le contraire car, aussi longtemps que l'on mettra
un autre être sur un piédestal en chantant ses louanges, on niera sa
propre beauté et sa propre lumière, en les projetant sur son gourou de
prédilection.
Pourtant, l’Éveil ne nous est pas inconnu :
nous en avons tous eu des aperçus, ne serait-ce que fugitivement,
durant quelques minutes, heures ou semaines dans des circonstances
particulières, au cours d'un voyage, au plus fort d'une relation
amoureuse, pendant un intense épisode de création artistique ou durant
un séjour au cœur de la nature...
Il nous est ainsi tous arrivé de ressentir soudain et sans savoir
pourquoi, une immense joie et une profonde paix, éprouvant le sentiment
de la perfection de l'instant présent et d'être un avec le monde,
l'univers et la vie, puis de perdre cette connexion, de refermer les
portes du sublime et de retomber dans les illusions et limitations de la
conscience ordinaire.
C'est pourquoi l'Éveil nous appartient et nous concerne tous : il
existe en chacun à l'état latent ; il est notre nature véritable, notre
identité ultime, essentielle et ineffaçable, qui ne peut nous être
retirée, quels que soient nos torts, erreurs, défauts ou insuffisances.
L'Éveil n'est donc pas l'apanage, ni la propriété exclusive de
quelques ermites en lévitation dans une grotte de l'Himalaya ou de
gourous fameux, entourés de leurs nombreux disciples dans de vastes
ashrams.
L'Éveil est le devenir et la vocation de l'humanité toute entière,
notre rêve perdu, notre mission oubliée et la raison d'être de notre
présence sur Terre.
Dans les milieux dits spirituels, l'Éveil
est généralement conçu comme un évènement grandiose, impressionnant,
spectaculaire, réservé à quelques êtres prédestinés et quasiment
inaccessible au commun des mortels.
Cette conception élitiste et hiérarchique de l'Éveil, qui conduit à le
placer en-dehors de l’existence quotidienne de chacun, hors de portée
de la majorité des humains, ne correspond pourtant pas à la réalité :
pour qui en a fait l'expérience concrète et effective, le processus
d'Éveil revêt de multiples formes, différentes pour chacun : il peut
être immédiat ou graduel, comporter des avancées et des reculs, des
ombres et des lumières ; il est mystérieux, progressif, incontrôlable et
imprévisible.
Le temps est venu, sans doute, de démythifier, désacraliser et
démocratiser l'Éveil et de comprendre qu'il s'agit d'une possibilité
universelle, chacun d'entre nous pouvant dès lors être légitimement
qualifié d'éveillé en puissance ou en devenir, d'intermittent de l'Éveil
comme il est des intermittents du spectacle.
Qui veut connaître l’Éveil ou souhaite entamer une « démarche spirituelle », sera généralement amené à s'adresser aux professionnels de la profession,
c'est-à-dire aux autorités connues et reconnues en la matière,
revêtues, selon le cas, de robes blanches, jaunes, rouges, brunes,
noires ou même violettes.
L'enseignement prodigué consistera alors invariablement en une
impressionnante accumulation de dogmes, doctrines, préceptes, rituels,
interdits, observances et commandements, qu'il s'agira d'intégrer,
réciter et appliquer, sans qu'à aucun moment, il ne soit question de
s'interroger sur leur validité et leur bien-fondé.
Aussi, loin de se libérer du fardeau des réflexes émotionnels et idées
préconçues (qui constituent le principal obstacle sur la voie de
l’Éveil), on en adoptera de nouveaux et l'on ajoutera ainsi un manteau
d'aliénation de plus, sur ceux si nombreux déjà existants.
Et en s'efforçant d'adopter le comportement souhaité, pour être
conforme aux exigences de la nouvelle idéologie que l'on aura adoptée,
on ne fera que s'éloigner encore davantage de son inspiration
personnelle, de sa sagesse spontanée et de sa liberté d'esprit, de
parole et d'action.
Car la logique suivie par les traditions
religieuses et spirituelles, s'avère toujours la même, fondée sur l'idée
que l'être humain est inapte à déterminer par lui-même la bonne manière
de vivre, et qu'il doit par conséquent appliquer les idées et
pratiques, que des autorités supérieures, supposées plus sages et
éclairées que lui, auront établies et élaborées à sa place et pour son
bien : aussi les dogmes et doctrines lui prescrivent-ils quoi penser,
les prières et livres saints quoi dire et les rituels et commandements
quoi faire.
Comment pourrait-on devenir libre, en renonçant à sa souveraineté et
en abdiquant systématiquement de son aptitude à exercer cette même
liberté ?
Ne pourrait-on imaginer une autre forme de spiritualité,
non-religieuse, non-superstitieuse et non-dogmatique, fondée non plus
sur le sacrifice, l'obéissance et la répétition de formules
toutes-faites, mais sur le plaisir, l'expérience personnelle et
l'autonomie de pensée ?
L'histoire des spiritualités montre bien
que les êtres les plus évolués et éveillés, de Socrate à Krishnamurti en
passant par le Bouddha, Tchouang-Tseu ou le Christ, furent chaque fois
considérés comme des hérétiques et des dissidents par les autorités de
leur temps, parce que, du fait même de leur Éveil, ils osèrent remettre
en cause les croyances et idées alors communément admises.
Le Bouddha par exemple, insatisfait des enseignements de ses maîtres
de méditation, décida, peu avant son illumination, de ne se fier qu'a sa
propre expérience et de découvrir par lui-même la vérité ultime.
Ainsi est-il possible d'aborder et de
vivre les processus spirituels et états d'expansion de conscience, de
manière libre et autonome, en-dehors du carcan étouffant et aliénant des
dogmes et des rituels.
Or cette démarche est précisément celle de l'expérimentation
scientifique, dont le principe est d'étudier le réel sans tabou,
interdit ou préjugé.
Science et mystique, rationalité et spiritualité sont ainsi deux
domaines, approches ou démarches, non seulement conciliables et
compatibles, mais encore complémentaires et intimement liées, comme
l'ont montré par exemple les récents développements en physique
quantique.
La spiritualité, l’Éveil et la connaissance de soi ont dès lors
vocation à être réintégrés au sein du vaste édifice de la culture
humaine, à ne plus être considérés comme des sujets tabous, mais à
devenir un objet de recherche et de débat, à être étudiés, expérimentés
et enseignés comme une discipline à part entière, de manière rigoureuse
et approfondie, au même titre que les mathématiques, les langues ou la
géographie.
Sortir l'Éveil du ghetto des milieux
spirituels, permet de lui redonner sa véritable place, son enjeu réel,
qui est de constituer le socle, la racine ou la fondation des cultures
et civilisations.
En effet, il suffit de considérer avec attention les chefs d’œuvres
qui nous furent légués par les sociétés passées, en architecture,
musique ou poésie par exemple, pour percevoir que leurs auteurs avaient
manifestement atteint un haut niveau d’Éveil et d'évolution.
Et l'on pourrait multiplier les exemples, de Pythagore à Einstein en
passant par Léonard de Vinci ou Victor Hugo, pour montrer que les grands
esprits ayant marqué l'histoire des sciences et des arts, furent pour
la plupart des intuitifs inspirés, mystiques et visionnaires, des
explorateurs de la conscience autant que de la matière.
L'Éveil est ainsi la source du savoir, la condition de l'esprit, l'origine du génie, la puissance de la création.
C'est pourquoi l'Éveil est la patrie des artistes, philosophes,
chercheurs et découvreurs, inventeurs, novateurs et révolutionnaires.
Tous participent à leur manière, qu'ils en soient ou non conscients, à
l'Éveil de l'humanité, à son émancipation des geôles mentales,
psychiques et culturelles, qui la retiennent depuis si longtemps
prisonnière.
L’Éveil est la clé de la transformation du monde ; il est le facteur
auquel on ne pense pas ; il est le moyen autant que le but, la carte
autant que le territoire d'un nouveau monde à inventer, imaginer, créer
et édifier.
Un puissant vent de liberté souffle aujourd'hui sur le monde.
Les dernières dictatures s'effondrent l'une après l'autre, car les
peuples de la Terre n'acceptent plus que leur dignité et leur liberté
soient méprisées et bafouées.
Partout sur la planète, des hommes et des femmes s'éveillent à ce
qu'ils sont vraiment, font prévaloir la voix de leurs sentiments sur
celle des traditions et du conformisme, et parlent, agissent, se
rebellent, proposent et mettent en œuvre des solutions innovantes et
modes de vie différents, que l'on qualifiera de différentes manières :
alternatives, décroissance, écologie, altermondialisme, transition…
Du fait même de l'accumulation de crises multiples, chacun se trouve
aujourd'hui amené à réfléchir, s'interroger, questionner et remettre en
cause les pseudo-certitudes et dogmes vacillants du modèle dominant.
Ainsi, c'est l'humanité toute entière, qu'elle l'ait ou non souhaitée,
qui se trouve maintenant mise en présence d' un mouvement généralisé
d’Éveil de conscience, mettant peu à peu en pièces tous les repères et
idées, sur lesquels elle s'était jusque-là construite.
Dès lors, chacun est confronté à ce choix : s'ouvrir, se transformer,
s'accomplir et s'éveiller, ou bien se fermer, se nier, se mentir et se
perdre.
S'il nous faut sortir de l'impasse matérialiste et inventer un autre
monde et un nouveau contrat social, il reste à savoir quel pourrait être
le visage d'une société spiritualisée, éveillée ou éclairée :
allons-nous être sommés de devenir de parfais dévots, arborant un
éternel sourire mièvre et béat ? Va-t-il falloir adhérer et se soumettre
à un nouveau culte, de nouvelles églises ou obédiences ?
Le retour du religieux (plus ou moins
mâtiné d'intégrisme) et l'idéalisation de la tradition ne peuvent
constituer des réponses adéquates au besoin de sens et de transcendance,
tout simplement parce que ceux-ci ont amplement apporté la
démonstration de leurs échecs et de leurs impasses ; ils ont abondamment
fait la preuve de leur incapacité à générer un véritable épanouissement
individuel et collectif.
La religion n'a certainement pas pour objet l'Éveil et
l'accomplissement de l'être humain, mais tout au contraire son
asservissement et son enfermement dans la prison des croyances imposées
et des rituels répétitifs.
Au lieu de le libérer de ses chaînes, elle en forge de plus grosses
encore. Elle l’abaisse quand elle devrait l'élever. Elle lui fait croire
en sa faiblesse, sa petitesse et son indignité, au lieu de lui montre
sa puissance, sa grandeur et sa beauté.
La religion est par essence totalitaire, puisqu' elle décrète des
dogmes arbitraires et des croyances déraisonnables, obligeant par-là
celles et ceux qui y adhèrent, à se couper de leur ressenti intérieur et
à renoncer à une pensée libre et souveraine.
Historiquement, elle s'est le plus souvent avérée un outil de
domination, de conditionnement et d'infantilisation des masses, au
service des intérêts des possédants et des puissants.
L'imposture de la religion consiste à se présenter comme la
continuatrice, la dépositaire et la représentante officielle du message
des éveillés, alors qu’elle n'en fournit qu'une version tronquée,
falsifiée et corrompue, trahissant et dénaturant leurs véritables
enseignements.
Prenons l'exemple du christianisme, la
religion majoritaire et dominante en Occident : le message du Christ,
tel qu'il apparaît dans les Évangiles, est un message révolutionnaire
d'amour inconditionnel et d'émancipation de toutes les barrières et
frontières mentales et institutionnelles.
Or, en son nom et après sa mort, fut créée par les prêtres et les «
pères de l'église », une religion incroyablement oppressive et violente,
prêchant exactement le contraire de sa pensée, c'est-à-dire à la fois
l'intolérance (persécution des païens, des hérétiques, des prétendues «
sorcières », des cathares, inquisition, croisades, guerres de religion…)
et le mépris de soi (culpabilisation du corps, du désir et de la
sexualité, dépréciation de la femme, apologie du sacrifice, de
l'obéissance, de la souffrance, des privations, etc.).
La prétendue spiritualité conçue comme un
combat contre soi, ne peut évidemment conduire qu'à la dureté,
l’amertume, la frustration et la rigidité. Et une démarche dite
spirituelle, consistant pour l'essentiel à s'imposer toutes sortes
d'impératifs et d'interdits (du type : « je ne dois pas dire ceci ; je
ne dois pas penser cela... ») ne conduit évidemment pas à l'Eveil, mais
bien plutôt à l'aliénation, la confusion et l'auto-dépréciation.
Beaucoup, dans les milieux spirituels ou du développement personnel,
entreprennent ainsi, avec les meilleurs intentions du monde, de se
contrôler constamment, de surveiller férocement les moindres de leurs
pensées et paroles, afin de se conformer aux injonctions qui leur sont
faites, d'être « dans le cœur », « dans l'amour » et de ne surtout pas
être « dans le mental » ou « dans le jugement ».
Cette dictature intérieure permanente, cette guerre envers soi-même,
ne permettent assurément pas de s'émanciper et se réaliser, mais
conduisent au contraire à perdre sa spontanéité, son naturel, sa joie de
vivre, son humour et sa liberté de pensée.
Il s'ensuit un véritable cercle vicieux : plus l'on se contrôle et
s'oblige à n'avoir que des pensées et paroles correctes et autorisées,
plus l'on perd la connexion avec soi et sa propre sagesse intuitive ; on
se sent alors de plus en plus perdu et l'on se réfugie d'autant plus
dans des réponses et idées toutes-faites, émanant d'autorités
extérieures, dont on s'appliquera à intégrer, réciter et appliquer les
préceptes et commandements.
Le problème posé par ce qu'il faut bien
appeler la pseudo-spiritualité, provient d'un malentendu, issu d'une
ignorance du fonctionnement émotionnel humain et de l'existence même de
l'inconscient.
Ce n'est pas en tournant le dos à son ombre, qu'on la fera
disparaître. Ce n'est pas en niant et refoulant ses émotions
douloureuses et ses tempêtes intérieures, que l'on s'en libérera comme
par magie, mais bien en les ressentant et les acceptant, ce qui
provoquera leur transmutation ou transformation harmonieuse.
C'est pourquoi l'authentique spiritualité ne consiste pas à appliquer
un vague code moral, un ensemble de règles, principes et rituels, mais à
vivre un voyage intérieur, un itinéraire de transformation, menant
progressivement, par la guérison du cœur, à l'Éveil de l'être intérieur.
Chacun souhaite vivre, connaître et ressentir l'amour universel et
inconditionnel, mais ce sentiment ne peut être obtenu de force, par la
volonté et le contrôle, au risque de n'être qu'une caricature, un
simulacre, un amour faux, qui s'avère au final oppressif, hypocrite et
dictatorial.
Il s'agit donc d'abandonner l'ancestrale
posture patriarcale de lutte et de domination envers autrui comme envers
soi, pour expérimenter et développer une nouvelle attitude, d'essence
féminine, d'ouverture, de lâcher-prise et d'acceptation de ce qui est en
soi, comme de ce qui est en l'autre.
Autrement dit, il nous faut réapprendre l’abandon, la douceur, la
spontanéité et la simplicité, être vrai, nous accepter tels que nous
sommes; et nous découvrirons alors notre indéniable beauté, notre
remarquable sagesse et notre indéfectible Eveil.
Tel un poisson tournant en rond dans son triste bocal, l'homme ou la
femme d’aujourd’hui étouffe et désespère dans un monde absurde, dépourvu
de sens comme de finalité, et se tourne alors à raison vers la
spiritualité ; mais les versions qui lui en sont le plus souvent
proposées, ritualistes, dogmatiques et disciplinaires, se révèlent
finalement comme autant de murs ou d'impasses, tout aussi sclérosantes
et aliénantes, si ce n'est davantage.
Voilà des millénaires que l'être humain
est en guerre : en guerre contre le monde extérieur, contre ses rivaux,
le clan d'en face ou le pays d'à côté ; en guerre contre la nature, le «
gibier », les animaux étiquetés « nuisibles », les « mauvaises herbes
», les microbes et virus ; en guerre surtout contre lui-même, son corps,
ses émotions, ses désirs et même ses pensées.
Dans les domaines du sport, de la politique ou de l'économie par
exemple, le vocabulaire guerrier et la logique de l'affrontement sont
systématiquement utilisés : on parle ainsi d'écraser, vaincre, dominer,
humilier, laminer ou éliminer le concurrent, l'ennemi ou l'équipe
adverse ; il s'agit de trouver la faille, l'angle d'attaque, la bonne
stratégie, d'être impitoyable, un leader, un winner, un killer, etc.
On est loin de l'écoute, de l'empathie et de la coopération, conditions indispensables de toute vie en société !
Quand l'être humain va-t-il enfin cesser le combat et se réconcilier avec lui-même et avec le monde ?
Et en quoi pourraient donc consister une culture de paix et même une culture de l'Éveil ?
Chaque culture est simplement la
traduction dans la matière concrète, du niveau de conscience, degré
d’Éveil ou stade d'évolution, atteint et manifesté par un peuple, un
groupe ou une société.
Ainsi existe-t-il un art mortifère et un art inspirant, une politique
d’oppression et une politique d'émancipation, une économie
d'asservissement et une économie d'accomplissement, des modes de vie
destructeurs et des modes de vie responsables, des technologies
polluantes et des technologies écologiques...
Faisons un rêve, imaginons (comme l'auraient dit Lennon ou Luther
King), un monde où un nombre chaque jour croissant d'hommes et de femmes
se mettent à l'écoute d'eux-mêmes, s'éveillent à leur être véritable,
font prévaloir la voix de leur cœur sur celle d'idéologies extérieures,
et entreprennent dès lors de réaliser leur rêve sacré ; où, par l'écoute
de soi, des autres et de la nature, s'invente et s'élabore peu à peu,
une nouvelle culture de douceur, de plaisir et de sagesse; et où se
construit, malgré tous les obstacles, une société de dialogue, de
partage et de coopération entre les individus, entre les classes,
nations et cultures, ainsi qu'avec les différents peuples non-humains.
Ce monde, c'est le nôtre ; et cette époque, c'est maintenant !
Car, malgré les messages anxiogènes et démoralisants des médias, cet
Éveil de l'humanité est bel et bien en cours aujourd'hui, à travers
d'innombrables initiatives positives, individuelles ou collectives,
chacun pouvant le voir et le créer, en soi et autour de soi.
L’Éveil de conscience des peuples et des individus est ainsi le pont
entre les mondes, le moyen et le moteur de la transition des âges ou de
la mutation sociétale et planétaire.
Héritière du Christ et du Bouddha, comme
de Woodstock ou de mai 68, la nouvelle culture spirituelle, que chacun
pressent, attend et espère, ne consiste pas à prendre des poses ou des
manières « spirituelles » ou à afficher un éternel sourire béat, mais à
être vrai, naturel, intuitif et créatif, à œuvrer plutôt que travailler,
à inventer plutôt qu'appliquer, à réfléchir plutôt que répéter, et à
écouter son corps, honorer sa sexualité, vivre ses émotions, exercer sa
pensée et expérimenter l’expansion de sa conscience.
La nouvelle culture de vie qui s'en vient, ne vise pas à formater et
enfermer l'être humain dans des moules et schémas répétitifs et
restrictifs, mais à lui procurer les conditions idéales pour se
connaître, se comprendre, se trouver, se transformer et se réaliser,
exprimer ses plus remarquables et brillants potentiels et manifester sa
nature éveillée, accomplie et unifiée.
La nouvelle spiritualité, libre, intuitive et spontanée ne conduit
donc pas à être l'esclave d'un gourou, d'un groupe ou d'une doctrine,
mais à devenir un humain adulte, évolué, actif et autonome, et à
remplacer le rituel par l'expérience, les superstitions par la
connaissance, la dévotion par l'estime de soi, l'obéissance par le
dialogue, la prière par l'intuition et la discipline par l'inspiration.
C'est pourquoi le surgissement de l'Éveil
n'est pas réservé ou confiné aux lieux conçus à cet effet (ashrams,
monastères, ermitages etc.), mais s'invite insolemment dans tous les
espaces de la vie sociale, et particulièrement ceux où les enjeux sont
complexes, délicats, subtils et considérables : lieux associatifs,
militants ou communautaires, salles de spectacle, ateliers d'artistes,
studios de cinéma, universités, assemblées délibératives, salles de
rédaction...
La réflexion, l'invention, l'imagination, l'illumination, la poésie,
la spontanéité, la sensualité et le désir, sont ainsi les outils ou
chemins multiples et inattendus de l'Éveil de l'humanité, qui lui
permettront d'explorer et expérimenter la spiritualité essentielle et
éternelle, celle de la vie, la joie, la jouissance et l'extase !
Plaisir et spiritualité, voilà deux mots que l'on n'a pas l'habitude d'associer !
Pourtant, que vaudrait une démarche spirituelle qui consisterait à se blesser, se maltraiter, se brimer et se faire souffrir ?
La spiritualité authentique n'est ni triste, ni sérieuse, ni austère.
Et la plénitude, le bonheur et la joie figurent parmi les attributs
essentiels de l'Éveil.
Pour un être éveillé, la vie consiste ainsi en une suite ininterrompue
de bonheurs et de plaisirs, car tout instant, tout acte et tout
événement deviennent extraordinairement intéressants, dès lors qu'ils
sont vécus consciemment, avec un œil neuf et sans routine, rituel,
attente ou idée préconçue.
La route de l'Éveil commence donc par apprendre à jouir, c'est-à-dire
savoir percevoir et apprécier toute la richesse, la beauté et
l'intensité de l'instant présent.
Mais, au nom du plaisir, l'être humain
bien souvent s'abîme, s'intoxique et se détruit, par ignorance, fuite ou
mépris de lui-même.
Il existe effectivement un monde entre le plaisir de la contemplation
d'un somptueux paysage automnal, lors d'une randonnée en montagne et le
prétendu plaisir d'une beuverie, se terminant invariablement par les
cris, la violence et la déchéance.
L'art de l'instant consiste donc en une puissante quête de beauté et
une exigence permanente de valeur et de qualité : qualité des moments
vécus et partagés, qualité des pensées et sentiments éprouvés, qualité
des actions et projets entrepris...
On peut ainsi hiérarchiser les plaisirs, du plus grossier au plus
subtil ; et une des multiples définitions que l'on pourrait donner de
l'Éveil ou de la spiritualité, serait l'aptitude à goûter à des plaisirs
de plus en plus fins, délicats ou éthérés.
Or, pour apprécier et savourer l'instant
présent, encore faut-il s'en donner les moyens et le temps. Une
existence entièrement vécue dans la vitesse, l'urgence et la
précipitation ne pourra produire que des instants médiocres, des pensées
conventionnelles et des relations superficielles.
Pour s'exercer à l'art du plaisir, il est donc nécessaire de
développer son attention et sa sensibilité, et pour cela, de ralentir le
rythme, d'élaguer les activités nocives ou inutiles et de se donner le
droit de faire ce que l'on aime, de dire ce que l'on pense et d'écouter
ce que l'on ressent.
Le plaisir conscient devient ainsi synonyme de sagesse : en se mettant
de plus en plus à l'écoute de son ressenti intérieur, on s'écartera des
impasses et des pièges, et l'on deviendra expert dans l'art des
solutions heureuses.
Apprendre le plaisir, c'est donc explorer
et connaître de mieux en mieux son monde intérieur, ses sensations,
émotions, désirs et sentiments ; c'est ainsi rétablir la connexion à la
source de soi, à son être intérieur.
Le plaisir véritable n'a donc rien d'une fuite hystérique et
hypnotique dans l'hyper-consommation, les activités extrêmes et
dangereuses ou encore les prétendus « paradis artificiels » des
toxicomanes.
L'hédonisme bien compris est en réalité un retour à soi, à ses idéaux
et aspirations profondes, à son objectif de vie, parfois délaissé,
ignoré ou enterré.
Le plaisir réel est donc moral,
constructif, noble et spirituel : il résulte du désir de se rendre
utile, d'apporter sa pierre à l'édifice commun et d'en retirer bonheur
et fierté. Qu'il s'agisse de gastronomie, de musique, de philosophie ou
de l'art de réparer les bicyclettes, la voie du plaisir nous mène vers
l’Eveil et l’accomplissement.
Car le plaisir authentique, émanant du centre de soi, est un indice de
justesse : il indique à chacun ce pour quoi il est fait, ce qui lui
permettra de se réaliser ; et il se trouve, pour cette raison, toujours
accompagné du sentiment d'être à sa juste place et d'accomplir et
satisfaire le dessein profond de son cœur.
Comment l'être éveillé, éclairé et évolué
en nous-même pourrait-il en effet se faire entendre, si ce n'est par des
intuitions soudaines, des impulsions, des idées, des envies, des
aspirations, autrement dit des désirs ?
Ainsi le désir n'est ni diabolique, ni source de toute souffrance,
comme nous le serinent les religions depuis quelques millénaires, mais
tout au contraire l'expression de l'être essentiel, le message de la
sagesse intérieure et l'impulsion primordiale de vie, sans laquelle nous
ne serions que des cadavres ou des robots.
Ne confondons pas les désirs véritables,
qui viennent de nous-même et qui nous sont profitables, avec des
attitudes-réflexes qui nous sont dictées par le milieu social et
l'idéologie de la consommation permanente : s'abrutir tous les soirs
devant la télévision pour ne plus penser, ou vider la moitié du frigo
pour ne plus ressentir le vide de sa vie, ne sont pas les vrais désirs
du cœur ou de l'être intérieur, mais bien une fuite, un évitement ou un
déni de ceux-ci.
Le désir est donc à écouter, ressentir, découvrir et honorer ; il est
le signal intérieur précieux et puissant, par lequel notre intuition
nous fait savoir quelle est la meilleure voie à suivre, le chemin qui
nous mènera à l'accomplissement et au succès.
Le désir est illuminateur : il est la voix de l'aspect de nous-même
qui aspire à la beauté, au plaisir, à la joie, à l'amour et à une vie
enchanteresse.
Dans les années soixante, les enfants du «
baby-boom » ont, une fois devenus adultes, vécu, pour une large partie
d'entre eux, une véritable révolution du désir, un prodigieux et
mystérieux éveil collectif de conscience.
Ils ont su se libérer de leurs peurs ainsi que des tabous, interdits
et préjugés de leur classe, leur milieu d'origine ou leur éducation,
pour suivre leurs désirs, leurs sentiments, leurs intuitions et leurs
idéaux : en très peu d'années, ils inventèrent, découvrirent ou
réactualisèrent tout ce qui, aujourd'hui encore, apparaît comme la base
d'une société désirable, harmonieuse et alternative : l'écologie, la
libération sexuelle, le féminisme, la remise en cause de la société de
consommation, du culte du travail et de l'argent-roi, le retour à la
terre, la création de communautés, le partage et la gratuité,
l'objection de conscience et de croissance, la prise de décision par
consensus, la culture par et pour tous, la liberté vestimentaire, les
thérapies psycho-corporelles, les écoles différentes, la naissance sans
violence, les architectures innovantes (dômes, zomes), etc.
Le lien inhabituel entre désir et
spiritualité, entre bonheur de vivre et éveil de l'esprit, se lit
pourtant clairement à travers l'histoire des cultures et des sociétés.
Est-ce un hasard si les souverains éclairés, tels par exemple François
1er ou Laurent de Médicis à la Renaissance, adeptes de l'art de vivre
et des plaisirs des sens, furent également les protecteurs des lettrés
et des artistes, et s'entourèrent des esprits les plus avancés de leur
temps, inventeurs, visionnaires, sages et penseurs.
Et à l'inverse, les régimes intolérants et autoritaires, obsédés par
la vertu, la pureté et le puritanisme, sont justement ceux qui brûlent
les livres et emprisonnent les dissidents, car ils ne supportent pas les
esprits libres et éveillés.
Ainsi, c'est pendant les périodes d'intense effervescence des désirs
et des idées, que les peuples connurent un développement considérable
des arts et des sciences, ainsi qu'un renouveau philosophique, moral et
spirituel, les deux allant de pair.
Ce n'est donc pas le désir qui crée la
souffrance et l’obscurantisme, mais bien sa négation, son interdiction
ou son refoulement, le refus de le reconnaître, de l'écouter et de le
prendre en compte, au nom d'idéologies punitives et castratrices, qui ne
conduisent finalement qu'à la frustration, l'amertume, la résignation
et la désespérance.
C'est lorsque l'être humain honore et accomplit son rêve, qu'il trouve
la joie de vivre, l'apaisement et la plénitude, et non lorsqu'il le
fuit, l'ignore et l'enterre, pour faire ce qu'on lui dit ou ce qu'il
croit devoir.
Le désir est ainsi la pulsation de vie, le langage du cœur, le souffle
de l'esprit ; il conduit aux plus belles destinées, si l'on sait
l'écouter, le pister, le trouver.
Car le vrai désir n'est pas acquis d'emblée : c'est un itinéraire, une
quête, une alchimie ; il se mérite et demande sincérité et courage.
Voici quelques exemples de cette quête du véritable désir :
Le toxicomane, le pervers ou l'assassin souffre de sa situation ; et
s'il est honnête avec lui-même, il reconnaît que son vrai désir et
besoin n'est pas de continuer de se livrer à l'auto-destruction, à la
dépravation ou à la violence, mais bien d'en guérir et de mener enfin
une vie saine, digne et honorable.
Le véritable désir d'un suicidaire n'est pas véritablement de mettre
fin à ses jours, mais plutôt de trouver le moyen de transformer sa vie,
pour la rendre acceptable, voire même prometteuse.
Lorsque l'on se fâche pour une broutille avec son meilleur ami ou avec
la personne aimée, quel est le vrai désir, demeurer dans cette
situation douloureuse ou rétablir le contact ?
Et c'est aussi le désir du cœur qui conduit à mettre fin à des
relations insatisfaisantes, des emplois inadéquats ou des appartenances
désuètes.
Enfin, quel est le vrai désir d'une personne qui se ruine en vêtements
de marque ou en voitures de sport, si ce n'est de retrouver l'estime
d'elle-même et de réaliser qui elle est vraiment ?
Retrouver et ressentir son véritable désir
implique donc de dépasser le stade des réactions premières,
émotionnelles, superficielles et conventionnelles, pour entrer en
contact avec la profondeur et la vérité de son être.
Le désir authentique n'est ni égoïste, ni vain, ni futile ; émanant du
meilleur de soi, il s'avère au contraire noble, juste et idéaliste ; de
nature intuitive, il prend en compte l'ensemble des paramètres d'une
situation et indique la meilleure conduite à tenir, pour des raisons que
l'on découvrira souvent par la suite.
Autrement dit, le cœur est intelligent ; et c'est pourquoi le chemin
du désir ou de l'écoute de soi n'est autre que l'appel de l'Éveil et la
manifestation de l'être intérieur.
Si, comme l'affirment les éveillés
eux-mêmes, l'Éveil est ce que nous sommes, notre nature intime et notre
réalité ultime, alors il n'est nul besoin de recourir à des techniques
complexes ou des initiations exotiques ou ésotériques, pour retrouver la
mémoire de notre identité véritable.
Nul besoin en effet de discipline sévère, de pratiques rigoureuses ou
de connaissances secrètes pour être soi-même, mais simplement le désir
sincère de connaître et comprendre ce qui se passe en soi.
Or, dans notre monde, tout semble fait
pour qu'à aucun moment, il ne soit possible de se livrer à cette
exploration intérieure, l'esprit étant constamment occupé par de
multiples activités et les rares moments de repos, meublés par le son de
la radio, de la télévision ou de l'ordinateur.
Même les instants consacrés à la méditation sont le plus souvent
employés à se conformer à des techniques, protocoles ou systèmes,
consistant à se focaliser sur un son, un objet , un symbole, une idée,
un endroit du corps, etc.
Or, pour que l'être intérieur ou le moi profond puisse se manifester,
encore faut-il lui en laisser la possibilité et, pour cela, se tourner
vers l'intérieur et s'ouvrir à ce qui survient spontanément en soi.
Lorsque l'on entreprend de se connaître et
que l'on porte son attention sur son monde intérieur, on est d'abord
frappé par sa richesse et son foisonnement : sensations, pulsions,
émotions, pensées, désirs, sentiments se succèdent continuellement et
(apparemment) sans ordre, ni logique, faisant penser à une jungle
grouillante de vie.
Si l'on est adepte de la guerre contre soi, on s'efforcera alors de
mettre au pas et faire défiler en rangs bien ordonnés, ce peuple
intérieur décidément trop indiscipliné et exubérant ; autrement dit, on
tentera, en vue de méditer, de chasser ses pensées (parce qu'elles
émanent du « mental », cette sorte d'entité dégoûtante et monstrueuse,
censée être la cause de tous nos maux !), de nier ses pulsions et de
masquer ses émotions ; et l'on n’aboutira qu'à brider, brimer et briser
sa nature intérieure, ses envies, ses instincts, son besoin de bonheur,
de joie, de liberté, sa créativité, sa sagesse et son esprit.
Mais si l'on accepte son monde intérieur tel qu'il est, en se contentant de le percevoir avec intérêt, bienveillance et neutralité, alors il reprendra forme et sens : les pensées, dès lors qu'elles sont écoutées, honorées et prises en compte, peuvent s’approfondir, quitter le plan superficiel des réactions émotionnelles et réflexes conformistes, pour donner lieu à des prises de conscience émanant de la sagesse intérieure, s'avérant être source de compréhensions, révélations et inspirations appropriées ; les émotions perçues, acceptées et libérées, se transmutent alors en paix, joie et plénitude ; quant aux désirs, si leur substrat émotionnel se transmute, ils s'approfondissent également et deviennent des intuitions justes et pertinentes, provenant des couches profondes de la conscience.
Ainsi ce que l'on pourrait appeler la
méditation libre, naturelle ou spontanée, au lieu d'imposer un ordre
arbitraire et artificiel à ses pensées, désirs et sentiments, consiste
simplement à les accepter, les laisser être et suivre leur cours
naturel, que l'on ne peut déterminer par avance, mais qui aboutit
toujours à une réorganisation, réharmonisation et clarification de
l'esprit.
Méditer ne consiste donc pas à adopter le look, la posture et les
manières du méditant, à singer un modèle ou à devenir une statue
vivante, mais au contraire à perdre ou déconstruire les déguisements
sociaux, repères et croyances obsolètes, pour laisser resplendir la
magnificence du moi véritable.
C'est ainsi que, couche après couche, strate après strate, la
méditation authentique permet de se libérer de ces vieux vêtements usés
et inutiles, qui recouvrent et masquent le soleil intérieur.
Voilà maintenant quelques décennies que la
méditation est devenue à la mode ; et s'est peu à peu diffusée, dans
les médias notamment, l'image stéréotypée du méditant installé dans une
posture impeccable, accompagnée de l'idée naïve et simpliste que cette
seule position immobile allait amener magiquement et automatiquement le
bien-être et la sérénité.
En réalité, la méditation est une attitude intérieure, consistant à
être constamment conscient de ce qui se produit en soi et autour de soi
; et c'est le développement de cette « conscience-témoin », qui va
préparer le terrain et rendre possible l'émergence progressive de l'être
intérieur et la venue d'états d’Éveil et d'expansion de conscience.
C'est pourquoi la méditation se pratique tout le temps ou jamais :
elle ne consiste pas à s'asseoir en tailleur à horaires déterminés en
suivant un protocole précis, mais à être à chaque instant attentif à ce
qui advient ; elle est une dynamique intérieure qui se met en place,
lorsque l'on commence à percevoir sereinement ses propres
fonctionnements, comme le spectacle du monde.
La meilleure position de méditation est
simplement celle qui permet le mieux de se détendre, se relâcher,
s'ouvrir et lâcher prise, ce qui implique qu'elle sera différente pour
chacun et selon le moment de la journée.
Ce qui montre bien que la posture de méditation n'a pas l'importance
quelque peu fétichiste qu'on lui accorde, c'est que les états
d’expansion de conscience, en pratique, surviennent n'importe quand et
n'importe où, dans le courant de la vie, au moment même où l'on se
détend et où l'on lâche prise, au restaurant, dans un ascenseur, sur le
périphérique, en faisant du ski, en se promenant dans la rue...
L’Éveil comme l'amour ne connaît pas de loi ; il ne dépend pas d'une
technique ou d'un enseignement, mais au contraire de l'oubli ou du
renoncement à toute croyance, certitude ou idée préétablie.
La méditation, au final, n'est autre que
la manière normale et naturelle de vivre, connecté à soi, conscient,
centré et attentif à toutes choses, adoptant dès lors naturellement un
comportement juste, moral, adapté et efficace.
Et c'est faute de cette vision juste, faute d'être reliés à leur
sagesse intuitive, que les êtres humains adhèrent à des idéologies
guerrières, obéissent à des traditions cruelles et irrationnelles ou se
livrent à des activités malsaines, iniques ou prédatrices.
Aussi, la science de la conscience ou l'art de l'esprit que constitue
la méditation, est-elle la clé méconnue qui changera le monde, pour peu
que l'on s'affranchisse d'une conception archaïque et figée de la
pratique méditative, qui l'identifie à cette étrange manie de rester le
plus longtemps possible dans une position rigide, statique et
hiératique, sorte d'exploit masochiste, absurde et inutile.
C'est par l'expansion de la conscience et
la connaissance de soi, que l'être humain pourra changer profondément et
durablement, et sortir alors des multiples impasses actuelles.
Chacun, tôt ou tard, sera amené à se tourner vers son propre esprit et
à percevoir son propre fonctionnement ; et ce d'autant plus que se
diffusera une nouvelle conception de la méditation, plus simple, plus
aisée et accessible à tous, perçue non plus comme un cérémonial
contraignant et fastidieux, mais comme un changement de regard sur soi
et sur le monde, une découverte du bonheur d'être, de sentir et de
vivre.
Car la vie est l'essence même de la méditation ; et la méditation n'est rien d'autre que l'expérience consciente de la vie.
L'Éveil, tout comme la vie, connaît mille couleurs, mille nuances et mille déclinaisons.
Aussi, ne l'emprisonnons pas dans des définitions restrictives, des
conceptions figées, des catégories fermées. Sachons le reconnaître
derrière les multiples fards, voiles et déguisements qu'il se plaît à
emprunter.
L'Éveil est partout, dans le chant du poète, l'extase des amoureux ou les cris de joie des enfants.
Cessons donc d'opposer éveillés et non-éveillés ; cessons d’idolâtrer
les premiers et de mépriser les seconds ; renonçons à situer les uns et
les autres d'un côté ou de l'autre de la barrière, car celle-ci est
parfaitement imaginaire.
Même les éveillés les plus remarquables continuent chaque jour d'évoluer et de se transformer, car la vie est sans fin.
L'Éveil est la matière même de nos vies ; il n'est pas une chimère à
attendre ou à espérer, mais une réalité à découvrir, défricher, explorer
et ressentir, dès maintenant, dès aujourd’hui.
L'Éveil est l'énergie, la conscience et le signal du nouveau monde.
Aussi nous faut-il, pour le manifester, passer de
l'état de disciple à celui de maître, reflétant ce que nous sommes en réalité
et de toute éternité ; ce qui ne signifie nullement monter sur une estrade et
nous faire adorer, mais assumer et exprimer notre vérité profonde, notre nature
essentielle, notre indéfectible Éveil, chacun à sa manière et selon son inspiration.
Beaucoup vivent l'époque actuelle comme un calvaire ou une épreuve, en maugréant,
rechignant et trainant les pieds.
Pourtant, en raison même de ses difficultés et incertitudes extrêmes, elle nous
offre l'occasion idéale pour nous éveiller et nous accomplir à une vitesse accélérée.
Sans doute avec le recul, ce temps apparaîtra-t-il comme une des plus fantastiques
écoles d'évolution et d’Éveil, qu'il soit possible de connaître et d'expérimenter.
Alors, profitons-en pleinement ; et soyons aux premières loges pour assister
et participer au fascinant spectacle de la mutation planétaire.
L'Éveil est ainsi notre droit, notre fête, notre défi et notre aventure.
L'Éveil est le changement qui vibre, pulse et court dans les printemps du monde
entier, les événements joyeux, vivants et drôles, les mouvements spontanés,
ludiques et imprévisibles.
L'Éveil est le sang qui coule dans nos veines, le torrent de vie qui irrigue
nos cœurs, l'amour irrépressible qui émeut, bouleverse, transperce et illumine.
L'Éveil est la vocation, l'aspiration, la chance et le devenir de tout être
vivant.
L'Éveil est la clé, le programme, le déclencheur et le mode d'emploi du monde
à venir.